Les blogueurs influents sont infidèles (à internet)

Publié le : 17 mai 20239 mins de lecture

Dans le vin, comme ailleurs, certains blogueurs ont la cote. Ophélie Neiman, alias Miss Glouglou, et Emmanuel Delmas, le sommelier connecté, sont de ceux-là. Blogueurs ? Ils ont plusieurs casquettes. La première, Ophélie, est d’abord journaliste ; le second, Emmanuel, sommelier et consultant. Pour autant, leurs blogs respectifs ont beaucoup contribué à qu’ils enfilent une toute nouvelle casquette : celle d’auteur. Tous deux publient en effet un premier ouvrage, évidemment consacré au vin. Deux livres différents, chacun bien dans son style, mais qui ont peut-être en commun la volonté de faire un peu bouger les lignes dans le vin… Entretien croisé.

Vindicateur – Vous publiez un premier livre, de quoi s’agit-il ?

Ophélie Neiman : Oh quelle surprise, un livre sur le vin ! Mais attention, il ne s’adresse pas à tout le monde : il est strictement interdit aux connaisseurs. D’ailleurs la maison d’édition c’est L’Etudiant. On a plutôt pensé aux jeunes, aux palais de demain (mais les vieux peuvent le lire aussi, la vie est bien faite). J’aime parler aux néophytes du vin. C’est toujours à eux que je pense quand j’écris et ce n’est pas demain que je changerai de cible. Je laisse les spécialistes à qui en voudra, ils sont moins nombreux et souvent moins sympa !

Emmanuel Delmas : Il s’agit d’un livre sur la dégustation de vin, comme son nom l’indique. Je n’aime pas particulièrement le terme  »leçons ». Du coup, j’ai tenté de ne pas devenir un donneur de leçons. La ligne directrice du livre, c’est d’aider le commun des mortel-le-s à mieux ressentir le vin, en lui donnant des clés afin de mieux le comprendre. Partir de la terre en finissant dans le verre. Surtout, l’idée principale était qu’une personne complètement novice puisse être enfin capable de déguster proprement un vin, en le  »mâchant ». En lisant, il est capable de s’y essayer… Et là, il ressent.

 

Vindicateur – Pourquoi écrire un livre sur le vin, il n’y en a pas trop déjà ?

Emmanuel Delmas : La maison d’édition m’a approché début 2011 et j’ai mûrement réfléchi, car la responsabilité d’écrire ce livre est immense. Plus à perdre qu’à gagner. J’ai signé 8 mois après notre premier rendez-vous. J’avais carte blanche totale, mais une idée directrice. En somme, écrire un livre avec cœur, sincérité et sérieux.  »Parler aux gens », leur faire simplement comprendre ce qui nourrit un vin, comment le ressentir, l’expliquer. Puis un éclairage sur onze terroirs différents, afin de mettre en lumière l’importance des sols, des climats, des vents, de l’environnement global… Un livre que j’aurais voulu lire : éclairant, sincère, pédagogue, captivant. C’est bien ambitieux…

Ophélie Neiman : Si, bien sûr, des livres sur le vin, il y en a plein. Mais ce n’est pas une raison pour se décourager. Il y a aussi beaucoup de vins sur le marché. Ce n’est pas une raison pour ne pas essayer d’en créer de meilleurs. Puis tout simplement, on me l’a proposé et je ne voyais pas pourquoi dire non. C’est mon côté fille facile.

 

Vindicateur – C’est quoi la différence entre vous et le journaliste du vin lambda qui écrit son guide, son livre ?

Ophélie Neiman : Je suis une journaliste du vin lambda ! Mais je suis aussi Miss GlouGlou : je crache le vin avec élégance et j’aime les vins qui sentent la chouquette ou le cola. Pour le reste, ce n’est pas à moi de le dire.

Emmanuel Delmas : Les journalistes du vin ont souvent des employeurs. Ils ne sont pas totalement indépendants, ont certains comptes à rendre. Leur plume peut être alerte, mais sans doute manquent-ils pour certains de l’essentiel : la sincérité d’une démarche, le cœur, et l’amour des gens. Etant avant tout un professionnel du vin, avec une expérience de plus de 17 ans dans la sommellerie, la dégustation, la formation, en visite très souvent chez les vignerons, je n’ai de compte à rendre qu’à moi-même. Je suis indépendant. Quand tous les jours, depuis 17 ans, tu vis le vin, le sers, le déguste, que tu te rends 30 à 40 jours par an chez les vignerons, que tu tiens de surcroît un blog, que tu accompagnes des restaurateurs, des professionnels, et des amateurs dans le vin, que tu apprends des vignerons et d’autres professionnels du vin, la question de la légitimité ne se pose plus. Sans cette pression, tu te sens plus libre, vivant. Donc sincère. Et cela les gens à qui tu parles le sentent tout de suite. Ça n’a aucun prix.

 

Vindicateur – Vous pensez que les blogueurs (entre autres activités, vous tenez tous les deux un blog) ont un rôle particulier à jouer sur le papier ? Qu’ils ont un message différent à livrer ?

Emmanuel Delmas : Réduire le blogueur à son blog est maladroit. Ophélie est journaliste avant d’être blogueuse. Je suis sommelier depuis 17 ans. Nous sommes des passionnés et des professionnels qui ont à cœur de partager, d’éclairer, de guider celles et ceux qui en ressentent le besoin. Celles et ceux qui ne trouvent plus chez les journalistes cette indépendance, cette sincérité, cette légitimité. Attention, tous les journalistes ne sont pas dénués de ces qualités, mais ils ont souvent bien du mal à se dégager de leurs  »obligations ». Ou pour certains, et là c’est ennuyeux, ils sont restés bloqués sur leurs certitudes ou croyances. Simplement, ils se sont déconnecté des gens. Dommage, car le monde du vin, vignerons en tête, a besoin de nous tous : journalistes, blogueurs, sommeliers, œnologues, dégustateurs, amateurs, forumeurs…

Ophélie Neiman : Ah oui, les blogueurs, on est les meilleurs, c’est évident ! Non mais bof, en fait. Emmanuel et moi sommes très différents, ça se ressent sur le blog comme sur le papier. C’est la personnalité de celui qui écrit qui prime, pas le média d’origine sur lequel il s’exprime.

 

Vindicateur – Si vous deviez nous donner envie d’acheter votre livre en trois lignes…

Emmanuel Delmas : Par ce livre, dans lequel j’ai mis beaucoup de cœur, je veux redonner l’envie aux gens de prendre plaisir à déguster du vin. Pour cela, il fallait leur raconter l’histoire du vin au travers d’un ouvrage qui me semble différent, avec ses forces mais aussi ses faiblesses. En un mot, un livre sincère.

Ophélie Neiman : Ce livre peut vous aider à dominer le monde. En plus, il n’est pas cher, court, écrit gros, les dessins sont signés de l’illustre Guillaume Long. Et s’il ne vous sert pas, ça fera toujours 200 pages à arracher pour faire des cocottes en papier, des avions, des bateaux, boucher vos trous de chaussures et alimenter le fourneau. Bref, un indispensable.

 

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Pour finir, on n’oubliera surtout pas le Guide de l’Alter-vin, deuxième opus des compères Laurent Baraou et Arnaud Septime (après La face cachée du vin), eux-mêmes actifs sur internet.

Il s’agit en l’occurrence d’un guide des vins mettant en avant quelque  »133 vignerons hors du communs » et, au-delà, toute une viticulture alternative. Iris Rutz-Rudel, Mathias Marquet, Lilian Bauchet, Céline Beauquel, Francis Boulard, Dominique Techer, Sébastien Fleuret, Philippe Gimel, Bruno Perraud, Ivo Feirrera ou encore Vincent Tricot sont quelques-un-e-s des excellent-e-s vigneron-ne-s qu’on y croise au fil des pages.

D’ailleurs, d’autres blogueurs pourraient bien fauter sur le papier prochainement… Assiste-t-on à une espèce de régénérescence de la critique de vin, à une simple récupération de blogueurs – pure players rentrant dans le rang de l’édition tradi – ou à tout autre chose ? A suivre !

 

 

Infos pratiques, liens et références

 

➤  »Le vin pour ceux qui n’y connaissent rien »

Auteur : Ophélie Neiman (Miss Glouglou)

L’Etudiant, 200 pages environ, 9,90€.

Date de sortie : 25 octobre 2012.

➤  »Vins : Leçons de dégustation »

Auteur : Emmanuel Delmas (Sommelier-vins)

Ed. de la Martinière, 183 pages, 15,90€.

Date de sortie : 30 août 2012.

 

➤  »Le Guide de l’Alter-Vin »

Auteurs : Laurent Baraou (LB), Monsieur Septime (Mistelle)

Bourin Editeur, 320 pages, 22€.

Date de sortie : 30 août 2012.

 

 

Antonin Iommi-Amunategui

Photo : Ophélie et Emmanuel  »google-isés ».

©Vindicateur, 09/2012

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