Isabelle Legeron, mistress of natural wine ?

Publié le : 13 octobre 20179 mins de lecture

Isabelle Legeron est  »Master of Wine ». Elle est même la toute première Française à avoir obtenu ce titre exigeant et convoité (ils sont moins de 300 au monde). Cette  »Crazy French Woman » – c’est son surnom, sa marque – vit et travaille d’ailleurs à Londres, où elle organise les 20 et 21 mai prochains un salon des vins naturels… Isabelle serait-elle la Master of Natural Wine ? Entretien.

Vindicateur – Vous êtes la première Française à avoir obtenu le titre de  »Master of Wine », cela implique-t-il des responsabilités particulières ? (Et, dites, il y a moyen de tricher pour l’avoir ?)

Isabelle Legeron : Alors là, pas moyen de tricher ! Je crois que c’est une qualification où, vraiment, il est difficile de passer au travers du filet. L’astuce, c’est premièrement d’avoir très envie de le faire, je crois par amour du vin plus que par souci de développement professionnel. Cela motive dans les moments difficiles. Je me souviens de beaucoup de dimanches matins passés à déguster des vins, à rédiger des notes de dégustation sèches (c’est-à-dire sans vin !) ou à écrire des essais…

Je dirais qu’au niveau des responsabilités particulières, la première est d’aider les étudiants qui viennent après nous. Le MW est un système basé sur le mentoring. Je dois beaucoup aux  »masters of wine » qui ont donné de leur temps pour m’aider lorsque j’étais étudiante. Du coup, je fais la même chose. Par exemple, cela fait 2 ans que je m’occupe des étudiants qui ont manqué l’épreuve de dégustation lors d’un séminaire intensif de 4 jours, et ça c’est du volontariat.

Deuxièmement, il est vrai qu’on signe un code de conduite dès notre intronisation au sein de l’institut. Cela semble beaucoup plus mystérieux que ça ne l’est en réalité. C’est plus un engagement d’intégrité par rapport à notre profession.

Vindicateur – C’est quoi le vin naturel, et pourquoi une MW ne jure-t-elle plus que par lui ? Vous n’êtes pas censée aimer les grands crus prestigieux ?

Isabelle Legeron : Oui, cela peut sembler incongru ! Il est important de se souvenir que le vin est à la base un produit agricole. Malheureusement, le vin est devenu un objet de mode, une représentation d’un style de vie, un produit spéculatif même. On a perdu la connexion entre le liquide dans la bouteille et le cep de vigne. Tout comme on a perdu le lien entre un morceau de viande dans un magasin et une vache dans un pré. Intellectuellement, bien sûr que l’on sait que tout est lié, mais je pense que l’on perd le ressenti, l’aspect émotionnel. C’est pour ça que lors de visites professionnelles dans les caves, on passe beaucoup plus de temps à visiter la cave, à regarder l’équipement de mise en bouteilles, que dans les vignes : très souvent on ne les visite même plus…

J’ai passé une époque de ma vie professionnelle du vin à collectionner les notes de dégustation de  »grands crus prestigieux », mais pour moi c’était devenu un exercice intellectuel, une recherche encyclopédique… Je me suis petit à petit rendue compte que les vins qui me donnaient de l’émotion partageaient une même philosophie, une agriculture biologique ou biodynamique et peu de manipulation dans la cave, une fermentation spontanée, peu ou pas de sulfites ajoutés… et ça a été le déclic. Je suis retombée amoureuse du vin, et je me suis plongée dans cet univers un peu parallèle où on remet beaucoup de choses en question. J’ai dû réapprendre beaucoup de choses, mais cette fois auprès des producteurs, et non plus avec des bouquins…

Vindicateur –  »That Crazy French Woman », quel intitulé curieux : en quoi êtes-vous crazy ?

Isabelle Legeron : Le mot  »crazy » vient à l’origine du surnom que l’on me donnait en Afrique du Sud, suite à ma première série Journey into Wine. Je crois que dans les pays anglophones surtout, on a du mal à se souvenir de mon nom et donc on a commencé à m’appeler  »that crazy french woman ». Un ami qui m’aidait à développer mon branding m’a dit que cela m’allait parfaitement, et voilà. L’idée étant plus de parler de crazy-libre-penseuse que de crazy-folle.

Vindicateur – Un restaurant doublement étoilé (L’Hibiscus, à Londres) vous a laissée barbouiller sa carte de vins naturels… Jouissif ?

Isabelle Legeron : J’avoue que c’est un des projets les plus intéressants sur lesquels j’ai jamais travaillés. Cela me permet à moi, et à mon équipe très solide à Hibiscus, de partager au jour le jour ces vins remplis d’émotions ; et de faire un travail de fond sur les accords mets et vins. Les vins naturels s’accordent parfaitement avec la cuisine précise et créative de Claude Bosi. En effet, les vins naturels sont très rarement trop boisés ou trop extraits. L’accent est plus sur la minéralité et la pureté du fruit.

 

Vindicateur – C’est quoi d’ailleurs des vins  »oranges » ?

Isabelle Legeron : Les vins oranges sont tout simplement des vins blancs qui ont été fermentés sur peaux, et parfois avec les rafles. Cette macération peut aller de quelques heures à plusieurs mois, comme c’est le cas en Géorgie par exemple. Ces vins sont pleins de personnalité, avec parfois la même intensité tannique qu’un vin rouge, et ont des notes d’herbes séchées, de fleur d’acacia ou de beurre salé. Oui, on a une liste de vins oranges à Hibiscus.

 

Vindicateur – Après le  »Natural Wine Fair » en 2011, vous organisez le  »RAW Fair » à Londres en mai 2012 ? De quoi s’agit-il ?

Isabelle Legeron : RAW est un salon qui rassemble quelque 180 producteurs du monde entier. Le salon réunit des associations de producteurs tels que La Renaissance des Appellations, l’Association des Vins Naturels et VinNatur, ainsi que des producteurs indépendants. Ils partagent tous la même philosophie biologique ou biodynamique à la vigne, et une vinification sans adjonction sauf sulfites ajoutés. La différence avec le salon de l’année dernière, c’est tout d’abord un souci d’indépendance et de transparence. L’année dernière j’avais organisé le salon avec des partenaires importateurs de vins, cette année, je l’organise indépendamment. Cela me permet d’inviter entre autres des producteurs non-représentés en Grande-Bretagne.

D’autre part, tous les producteurs exposants doivent mentionner, pour chaque cuvée, si le vin a été collé ou filtré, et s’il est bon pour végétarien/végétalien, ainsi que les taux de sulfites totaux. C’est la première fois, à ma connaissance, qu’un salon prend un tel engagement de transparence vis-à-vis du consommateur. Je suis de l’avis que le consommateur a le droit de savoir ce que contient le vin qu’il ou elle achète. Nous organisons d’ailleurs à ce sujet un débat sur la transparence, qui va également porter  sur les ingrédients mentionnés sur l’étiquette d’une bouteille de vin.

Il y aura aussi, entre autres, une présentation de Nicolas Joly sur la biodynamie et l’authenticité du goût, Monty Waldin sur l’aspect pratique de la biodynamie à travers le jardinage, Claude Bourguignon sur la vie des sols, une présentation sur les  »kvevri » [amphore en argile – ndlr] géorgiens, une dégustation verticale de l’Apôtre avec David Leclapart, une dégustation de vieux cépages oubliés avec José Vouillamoz, etc. Il y aura encore une petite salle de cinéma qui va projeter quelques films sur le vin, dont  »La Clef des Terroirs »,  »Senza Trucco », et mon dernier film sur la Géorgie. La programmation complète est disponible sur le site.

 

Vindicateur – Tout comme Alice Feiring, vous avez eu un coup de cœur pour les vins naturels géorgiens, quelques mots à ce sujet ?

Isabelle Legeron : Je reviens justement de Géorgie où je commence à produire mon propre vin fait avec du Rkatsiteli en  »kvevri », en partenariat avec des amis Géorgiens. Je vais en Géorgie toutes les 6 semaines environ. A RAW, nous avons 8 producteurs qui viennent présenter leurs vins, nous avons un  »kvevri » géant et on pourra même goûter mon vin en avant-première !

 

Vindicateur – Quelques vins naturels de France qui vous ont touchée dernièrement ?

Isabelle Legeron : Parmi mes producteurs favoris (c’est-à-dire ceux que je bois régulièrement à la maison) figurent Le Casot des Mailloles, Léon Barral, Alexandre Bain, Sébastien Riffault, Mas Nicot, La Terrasse d’Elise… Il y en a des dizaines et la plupart seront à RAW.

 

Toutes les infos pratiques pour se rendre au  »RAW Fair », les 20 et 21 mai 2012 à Londres, sur le site dédié du salon.

 

Propos recueillis par Antonin Iommi-Amunategui

©Vindicateur, 04/2012

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