Henri Milan, le beau de Provence

Publié le : 12 octobre 201713 mins de lecture

Henri Milan, la quarantaine bien accrochée, est installé à Saint-Rémy de Provence au pied de la montagne des Alpilles, dans un microclimat et sur des sols propices… Cette belle gueule de vigneron travaille en rouge, blanc et rosé ; et crée ainsi, dans les trois couleurs, de grands vins de Provence. Tout est en bio et il propose depuis 2007 une cuvée sans soufre ajouté. Entretien.

Vindicateur »Le Clos », votre grande cuvée de rouge (assemblage grenache/syrah), ne sera plus en appellation Baux-de-Provence pour le millésime 2006 (le prochain à être mis en bouteilles) ; pouvez-nous expliquer pour quelles raisons, et si cela vous contrarie ?

 

Henri Milan : Les raisons sont dues à la réforme de la règlementation des AOC applicable pour le millésime 2006 en ce qui concerne les Baux de Provence. Cette réforme sous couvert d’une plus grande traçabilité enlève toute possibilité aux vignerons de pouvoir exprimer leur terroir, pour deux raisons :

 

La première dans la mise en place des fameux cahiers des charges qui ne sont pas une nouveauté pour les nouvelles AOC issues des antiques VDQS et qui n’ont jamais empêché les dérives qualitatives. Ainsi la dégustation d’agrément par les vignerons est remplacée par une dégustation par l’organisme certificateur, sans pour autant que le consommateur ne s’y retrouve plus qu’avant, à la différence qu’elle est devenue beaucoup plus onéreuse car facturée par des organismes de certification ayant fait leur fortune avec de grandes entreprises.

 

Tout ce process (car on ne peut le nommer qu’avec cet anglicisme) a pour but d’homogénéiser les vins issus de même AOC et donc à créer un produit identique, standardisé et sans originalité aucune.

 

De plus elle est inutile pour une question d’éthique ; à savoir que mettant mes nom et adresse sur chaque bouteille sortant de mon chais, je suis de facto responsable de la qualité et de la réputation du domaine. A cela personne ne peux trouver meilleure preuve d’honnêteté ou de traçabilité. J’assume ainsi le bon et le mauvais. Si un client aime ou non mon style, il est dans la capacité de le sanctionner ou de le valider.

 

La seconde raison est plus pernicieuse, dans le sens où cette standardisation fait les choux gras de la grande surface qui n’a plus à rémunérer un spécialiste sommelier conseil, et dans le même temps elle exclut la question du terroir, directement liée à celle du rendement. Difficile de parler de terroir au-delà de 45 hectolitres maximum. Si l’on supprime les vins issus de rendements supérieurs à ce chiffre, on peut dès lors recommencer à en parler, mais avec 3% des intéressés…

 

La conséquence de cette réforme, outre qu’elle est un rendez-vous manqué pour tous les vignerons libres, se révèlera très vite inapplicable et devra être réformée sous peine de mener le principe même d’AOC à sa perte ; ce qui à mon avis est le but plus ou moins inavoué de certains, au même titre que la réforme des vins de table devenus  »Vin de France » et permettant d’apposer le millésime et les cépages sur l’étiquette.

 

Contrarié je le suis car je me suis battu en mon temps pour la naissance de l’AOC Baux de Provence, en pensant que nos efforts seraient récompensés à terme. Or, je fais le constat 10 ans après que si je veux produire un grand vin il faut que j’en sorte. C’est pour le moins le monde à l’envers.

 

VindicateurVotre blanc,  »Le Grand Blanc », assemblage de 5 cépages, doit-il son nom au requin, ou à une volonté affirmée de concevoir un grand vin blanc ? (quid des comparaisons de votre Grand Blanc – après quelques années de vieillissement – avec rien moins qu’un Grand Cru de Bourgogne, qu’on a lues ici ou là ?)

 

Henri Milan : Ce nom n’est pas dû à un accès de vanité inutile et ridicule, ni même à un amour immodéré pour le prédateur des océans, mais plutôt à l’application de la législation en matière de vin de table avant la réforme.

 

En effet, lorsque je me suis aperçu que la Roussanne n’était tout simplement pas acceptée en AOC Coteaux d’Aix en Provence (il n’y a pas d’AOC blanc en Baux de Provence et il faut donc faire 65 kilomètres pour en parcourir l’aire !) je n’ai eu d’autre choix que de la débaptiser en un nom plus générique tel que Le Blanc ou Le Beau Blanc ou Le Mont Blanc… Le terme Grand Blanc s’est imposé naturellement sur l’étiquette comme le terroir s’est imposé au vigneron.

 

Le Grand Blanc est le vin qui me donne le moins de travail de recherche car c’est un très grand terroir qui a même pardonné mes illusions en matière d’expérimentation. Chaque millésime a été réussi, ce qui n’a pas toujours été le cas pour les rouges et les rosés, et ceci dès la première récolte, ce qui est une prouesse exceptionnelle.

 

Pour son rapport à la Bourgogne je laisse aux dégustateurs le soin de s’exprimer ; je ne suis pas loin de ne plus avoir d’opinion sur cette question : climat ? sous-sol ? cépage ? Je ne sais pas. Ce que je remarque c’est qu’au bout de quatre années il révèle une fraicheur surprenante et des aromes grillés intéressants. Pour autant j’ai la sensation que je n’aurai jamais la possibilité d’explorer un tel terroir tant les possibilités sont immenses.

 

VindicateurVous avez une affinité particulière avec la Bourgogne, ses vins, ses vignerons ? N’étaient la Provence et Saint-Rémy de Provence, auriez-vous aimé devenir vigneron là-bas ?

 

Henri Milan : J’ai surtout une affinité avec la finesse et l’élégance (ce n’est pas ce que dit ma femme de moi) des vins de cette région et je n’ai de cesse moi-même d’y arriver avec les miens. Pour autant je n’ai jamais eu d’émotion particulière en visitant la Bourgogne, sauf une fois en passant près de La Tâche.

 

J’ai plus de sensibilité pour les terroirs oubliés, abandonnés, qui n’ayant pas eu la chance d’être reconnus, attendent comme dans la pièce  »Regain » de Marcel Pagnol, l’amoureux qui saura les révéler à force de patience et de passion. Il en est ainsi de certains terroirs de Loire ou du Languedoc, voire à l’étranger. C’est vrai que ma passion de faire du vin peut me porter partout dans le monde.

 

Vindicateur –  »Sans soufre ajouté », c’est le nom de l’une de vos cuvées ( »Objet Vineux Non Identifié, ce vin ne s’explique pas, il se boit », dites-vous) et votre cheval de bataille depuis pas mal d’années ; au-delà du mal de tête que les excès de soufre provoquent, pourquoi vouloir si fort ne pas ajouter de soufre ?

 

Henri Milan : Je ne sais pas pour vous, mais pour moi le mal de tête est une raison très importante car elle ne fait pas partie de ma signification du terme  »plaisir ». De même pour des questions d’économie… Plus sérieusement, il me semble que c’est la recherche de la pureté et de la simplicité qui m’a fait très tôt choisir de mettre le moins possible d’intrants exogènes dans mes vins.

 

A chaque fois, avec l’œnologue de mon père, la question se résumait ainsi :  »A quoi ça sert d’en mettre ? » Et trop souvent la réponse était symétrique :  »A rien, mais on ne sait jamais ! »

 

La conclusion s’imposait d’elle-même… Après une première expérience malheureuse en 2000, j’ai recommencé à partir de 2007 avec plus de maturité intellectuelle, mais par hasard en fait. Il restait quelques souches de cabernet sauvignon dont la dégustation faisait apparaitre un goût herbacé. C’est à la fin des vendanges lorsqu’il ne restait que cette parcelle et des bouts d’autres que j’ai eu l’idée de vinifier sans soufre, car le soufre a pour particularité cachée de scotcher les tannins en les rendant agressifs. Le succès a fait le reste.

 

VindicateurVotre cuvée de rosé  »Ma Terre » est un autre ovni, une gourmandise dotée d’une assez belle complexité, qui mérite quelques mots…

 

Henri Milan : En la matière j’ai produit de grands rosés classiques au début de ma carrière. Par la suite ces vins étaient complètement hors marché pour deux raisons. Je les mettais à la vente fin juillet, parfois en août, et de plus ils sont pour moi de grands vins au même titre que les rouges ou les blancs, dignes des grands mets sur les grandes tables. Autant dire qu’ils restent des ovnis, sauf peut-être au Japon ou les clients sont moins  »marquetisés » qu’en France.

 

Pour moi le modèle reste le Tavel des Frères de la Sainte Famille à Manissy. Mais eux aussi ont du s’adapter et cesser de produire de très grands rosés au tournant des années 2000.

 

 

VindicateurCompréhension plutôt qu’analyse, c’est votre mot d’ordre côté dégustation ; en vérité comment faut-il comprendre vos vins ?

 

Henri Milan : Question complexe. J’aurais tendance à dire que ce n’est pas à moi d’en parler… La base de ma réflexion est d’exprimer le terroir au mieux. Le problème c’est que j’ai récupéré un terroir mené en chimie en ayant la sensation de le découvrir depuis peu.

 

Ensuite, l’idée est de produire le vin qui sera le plus fin et élégant possible, sans pour autant qu’il perde son âme, comme par exemple par la filtration. Donc je ne filtre pas mes vins.

 

L’idée suivante, et là je ne suis pas original, c’est de produire le vin le plus ambitieux possible. J’ai la prétention comme tout vigneron d’avoir le meilleur terroir du monde puisque c’est le mien. En vérité, je pense qu’une vie ne me suffira pas à en révéler toutes les subtilités. Mais je m’y attache de toute mon âme, par passion et par respect pour la nature et pour le lieu qui m’a été confié par le destin.

 

En conclusion, si je fais du vin, je pourrais résumer mon ambition par de l’émotion pure, du plaisir à boire, et du savoir gustatif à emmagasiner.

 

VindicateurQue pensez-vous de la nouvelle réglementation européenne sur le Bio ? (qui devrait notamment permettre et acter la présence  »fortuite ou inévitable » d’OGM dans les vins bio ou encore des techniques de vinification comme la flash pasteurisation ou l’osmose inverse)

 

Henri Milan : Même réponse que pour les AOC. Le Bio gêne car il ne s’adapte pas au modèle productiviste qui gère la filière agricole depuis l’invention des engrais chimique après la révolution française. Quant à l’osmose inverse, je ne vois pas le rapport puisque par définition produire bio c’est produire moins donc pas besoin d’évaporer l’eau sur des rendements naturels.

 

 

VindicateurQuel est à ce jour le plus grand vin né au Domaine Milan, selon vous ?

 

Henri Milan : Concernant mon vin préféré je pense que c’est me demander de choisir entre mes enfants… Pour autant, si on me le demande sous la torture et aujourd’hui, je dirais que c’est le Clos 2007 [attendre 2011 pour la mise en bouteilles – NdlR].

 

 

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Propos recueillis par Antonin Iommi-Amunategui

Crédit photo : Vinature

© Vindicateur, 03/2010

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