Docteur Maury & Mister Berthomeau

Publié le : 12 octobre 20177 mins de lecture

Jacques Berthomeau a commis en 2001 un rapport resté fameux :  »Comment mieux positionner le vin français à l’exportation ». Depuis il est régulièrement sollicité en tant qu’expert (un titre qu’il dénonce) mais s’expose surtout sur www.berthomeau.com, où il donne son avis – en particulier si on ne le lui demande pas – sur à peu près tout ce qui concerne le vin (et le reste). Ici, il cause de la réédition du livre délirant (?) du Dr. Maury,  »Soignez-vous par le vin ».

Vindicateur – Comment expliquez-vous le succès de la réédition du livre du Dr. Maury, 40 ans après ?

  1. Berthomeau : Son côté rétro, peut-être. A moins qu’il corresponde à l’air du temps. Les gens cherchent leur santé à tous les coins de rue… Ou encore le politiquement incorrect, en réaction à tous ces cons qui nous font fumer dehors. Mais c’est d’abord une autre époque. Rappelez-vous Jacques Anquetil, le champion cycliste, qui carburait au champagne. Le vin, c’était autre chose… Aujourd’hui, c’est sûrement le côté desprogien, décalé, qui l’emporte. Desproges avait cité ce livre dans l’émission de Michel Polac,  »Les Vignes du Seigneur », indiquant que pour soigner la neurasthénie, le seul remède est la Blanquette de Limoux : 2 verres au petit déjeuner, 2 au déjeuner… Du Mauzac plutôt que du Prozac, ça c’est de la bonne vieille réclame ! C’est vraiment un livre exotique. Bien sûr, j’espère que ce ne sont pas les prescriptions de ce bon docteur qui en font le succès. Parce que le vin est certes un aliment, il y a le french paradox ou le régime crétois pour en témoigner… Mais, pitié, pas de vin sur ordonnance.

 

Vindicateur –  Quel était le contexte à l’époque de la sortie du livre en 1974 ?

  1. Berthomeau : En 74, c’est Giscard. C’est une période où les gens consomment du vin de table. Les AOC sont ultra-minoritaires. C’était  »VCC » (vins de consommation courante, capsulés) contre  »vins bouchés », avec un bouchon en liège. Une époque où une partie de la médecine défendait le vin. On considérait sincèrement que le vin pouvait traiter des maladies. Il faut aussi se rappeler Roland Barthes, qui consacre un chapitre au vin dans Mythologies.  »Le vin est senti par la nation française comme un bien qui lui est propre », écrit Barthes. Le vin faisait partie du peuple… Et La Villageoise était la première marque mondiale ! Parce que ce n’était pas de la cochonnerie, mais un vin de Provence, adapté. C’est de ce vin-là dont le Dr. Maury parle. Du litron qu’on buvait sans se pochtronner. De ces gens qui ont picolé toute leur vie sans pour autant être des ivrognes. On les appelait les  »réguliers », une espèce en voie de disparition aujourd’hui. Et les médecins de famille, qui étaient eux-mêmes des buveurs, y allaient parfois de leur posologie avinée… Attention, l’alcoolisme était bien un fléau. Mais le vin était d’abord considéré comme un aliment. Comme la bière brune en Irlande. Seul l’excès était combattu, et de façon assez morale, avec des ligues. Beaucoup de femmes, qui souffraient parce que leurs hommes dépensaient l’argent du ménage au cabaret… Aujourd’hui, en-dehors des clochards et d’une minorité, ça n’a rien à voir avec ce qu’on a pu connaître. Moi, le tiers de mon village partait en désintox… On disait  »aux fous ». L’alcoolisme faisait des ravages. Mais le vin faisait partie de la vie, du peuple.

 

Vindicateur – Et que penser des recommandations du Dr. Maury, comme boire pendant la grossesse ?

  1. Berthomeau : En 1974, les médecins ont fait boire un verre de vin par jour à ma sœur pendant sa grossesse. Elle qui d’ordinaire ne buvait pas une goutte. C’était un autre temps. Le vin était dans le tissu social. Le vin de table, surtout. On y revient. En 1978, j’ai travaillé à l’office des vins de table. Les AOC, c’était les aristos du vin, mais les vins de table tenaient le haut du pavé. Je me rappelle, en 1983, je devais assister avec Rocard à la première session de l’INAO en Languedoc… Nous n’avons pas pu dîner avec les gens de l’AOC : les comités d’action viticole nous en ont empêchés. Ces gars-là, ils avaient des cagoules. Ils posaient des bombes. C’étaient les précurseurs des Corses. Politiquement, ils dominaient dans le vin. Et la viticulture était une bombe à retardement pour les politiques. Un vigneron et un CRS se sont d’ailleurs tirés dessus, en 1976, à Montredon-Corbières. Deux morts…

 

Vindicateur – Le Dr. Maury annonce le remplacement du vin par la pharmacopée, les médicaments. Comment a-t-il pu anticiper cela ?

  1. Berthomeau : Il l’a sûrement senti, considérant le passage d’une société rurale à une société plus urbaine. Les angoisses sont alors devenues d’une autre nature. Avant, les gens travaillaient de leurs mains. Ils étaient fatigués physiquement. Avec les nouvelles façons de travailler, le  »tertiaire », on a généré d’autres types d’angoisses. Aujourd’hui, on va voir des médecins spécialistes, qui sortent leur stylo à bille au bout de 3 minutes… A l’époque, c’était le médecin de famille ou de campagne, d’autres pratiques. Les docs étaient des sociologues, et Maury a dû percevoir cette évolution. Sans oublier la pression naissante des grands labos pharmaceutiques, qui commençaient déjà à inviter les médecins à des colloques à Tahiti…

 

Vindicateur – Et aujourd’hui le vin c’est encore un médicament ?

  1. Berthomeau : Plus que le vin médicament, c’est le vin social, convivial, qui est un antidépresseur aujourd’hui. Le vin moderne, c’est ça. Des gens qui se retrouvent chez eux, dans les cafés, les bars à vins… Le peuple français a fait la révolution dans les cafés, disent les Russes. Le vin actuel est bien un antidépresseur, pas en tant que matière, mais comme occasion de se retrouver. Pour refaire le monde ?

 

Retrouvez Jacques Berthomeau sur son blog éponyme ;  »Soignez-vous par le vin », Docteur Maury, NiL éditions.

Propos recueillis par Antonin Iommi-Amunategui (entretien initialement réalisé pour Grand Seigneur n°3).

©Vindicateur, 03/2012

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