Pierre Guigui met les pollueurs du vin face à leurs contradictions

Publié le : 05 avril 20235 mins de lecture

Pierre Guigui, rédacteur en chef  »vin » du magazine Gault & Millau, auteur de plusieurs guides et organisateur du concours  »amphore » des vins bio, a décidé de s’exprimer sur un sujet qui lui tient à cœur. Le journaliste réagit notamment aux critiques faites à l’encontre de l’agriculture biologique, des vins bio, biodynamiques ou naturels ; et pointe les véritables responsables de la pollution liée à la viticulture. Une tribune précise, circonstanciée et engagée, que nous publions in extenso.

Pierre Guigui :  »Les bio s’entendent dire qu’ils polluent… c’est un peu comme se faire contrôler par un gendarme ivre qui vous reproche d’avoir bu un verre. »

 »La France compte environ 85000 exploitations viticoles, dont 4000 certifiées bio ou biodynamie, soit seulement 5% de l’ensemble. Ce qui veut dire que 95% de la viticulture est en  »conventionnel » ou en  »raisonné » (chiffre agences bio et agrimer). Les viticulteurs en  »nature » sont tout au plus une centaine (ils ne sont pas forcément certifiés bio) ; ils représentent 0,12% de la production globale. »

 

 »95% de la viticulture pollue avec pas moins de 10000 tonnes de matières actives »

 »La viticulture représente 2,6% à 3% de la surface agricole et utilise 20% des produits phytosanitaires (source INRA). »

 »Si la bio n’utilise pas de produit chimique de synthèse, elle utilise du cuivre. Certes polluant, il est réglementé et limité à 6 kg hectare/an au maximum. »

 »Ne parler que de la pollution induite par 4000 producteurs (certifiés et non en conversion) utilisant 6 kilos de cuivre an/ha (au maximum), c’est taire que 95% de la viticulture pollue avec pas moins de 10000 tonnes de matières actives (Union des industries de la protection des plantes), mais aussi, bien souvent, un ou deux passages de cuivre/soufre par an en plus. »

 »C’est oublier de parler des risques liés à leur utilisation, avec des conséquences graves sur la santé : cancers, malformations congénitales, problèmes d’infertilité, problèmes neurologiques ou encore système immunitaire affaibli. »

 »C’est oublier de dire que l’on trouve des résidus de pesticides dans 96% des eaux superficielles et dans 61% des eaux souterraines (Institut français de l’environnement). »

 

La question du bilan carbone

 »L’efficacité réduite dans le temps des produits utilisés par les bio induit des traitements plus fréquents, et donc une consommation plus importante de gazole. Ce qui bien évidemment a une incidence sur le bilan carbone. »

 »Si les traitements en  »raisonné » sont moins fréquents, un point important n’est jamais pris en compte, à savoir le bilan carbone induit par la fabrication des produits phytosanitaires (ADEME – Guide des facteurs d’émissions). »

 »Peu d’études ont été menées sur le bilan carbone des entreprises viticoles, et les rares éléments à disposition à ce jour font remarquer que l’incidence sur le bilan carbone des déplacements (promotion, etc.) est équivalente à celle du gazole utilisé pour les traitements (Institut Français de la Vigne et du Vin). »

 »Cette même étude fait remarquer que sur les entreprises étudiées, celles dont l’impact carbone du gazole est le plus important ne représentent que 20% du bilan carbone total. Il est à supposer qu’un producteur bio qui travaille dans son coin sans utiliser l’avion pour la promotion et la commercialisation de ses vins n’aura finalement qu’une emprunte très relative. »

 

 »60% des vins sont la honte de la production française »

 »60% des vins sont la honte de la production française, et les 200 cuvées  »nature » posent problème ? C’est à mourir de rire. »

 »Et la qualité des vins ? Plus personne ne conteste le fait que, parmi les meilleurs vins de France, figure une proportion très importante de bio. Une proportion qui dépasse leur représentativité dans la production globale. »

 »Mais là n’est plus le débat, il est aujourd’hui focalisé sur les vins dits  »nature ». Que sont-ils en fait ? Moins de 0,1%, appréciés par quelques jeunes consommateurs qui s’écartent de la masse, de la vague gigantesque, du tsunami déferlant de vins sans âme, sans identité, sans aucun intérêt, qui sont la honte des vins français. »

 »Et là il ne s’agit plus de 100 ou 200 cuvées, mais bien de milliers et de milliers de vins qui représentent plus de 60% de la production. Des vins produits bien souvent de façon intensive et industrielle. »

 »Quelles sont les vraies questions à se poser ? Où sont les vrais problèmes ? La pollution provoquée par le mode de production des bio ? La qualité des 200 cuvées  »nature » ? Non, ce débat est partisan et ne s’en prend qu’à la minorité. Un débat peu argumenté, fondé sur des aprioris, des impressions, et surtout une bonne dose de sectarisme. »

 

Propos recueillis par Antonin Iommi-Amunategui

Crédit photo : Ophélie Neiman (Miss Glouglou)

©Vindicateur, 02/2013

À lire en complément : Que pense la MILDT du rapport Reynaud stigmatisant la présence du vin sur Internet ?

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