Les Indignés du vin

Publié le : 14 août 202017 mins de lecture

Les indignés fleurissent dans le monde, quand ils ne font pas carrément la révolution. Et dans le vin : des moutons, des passifs, des bloqués du sourire factice, ou quelques mâchoires mieux crispées, et autres poings serrés ?  »Qu’est-ce qui vous indigne dans le vin » – réponse de 21 vignerons, blogueurs, journalistes… Acteurs et actrices de ce petit monde qui en dit parfois long sur l’autre, le grand.

Olivier B / Vigneron / Blogueur

 »Ce qui m’indigne aujourd’hui et depuis toujours dans les mondes des vins, c’est que trop de bienpensants, croyant détenir toute la vérité sur ces mondes, placent la chose hors de portée du quidam, et prétendent en plus qu’il est nécessaire de maitriser la physiologie de l’induction florale, l’ébourgeonnage ou le micro-bullage pour avoir le droit de parler de vin… Et après on s’étonne que le consommateur achète son vin en grande surface… Mais là, au moins, il est sûr de ne pas passer pour un ignare. »

 

 

Jacques Berthomeau / Blogueur

 »Rien ne m’indigne dans le vin ! Mes indignations je les réserve à ce qui me semble important, grave, répugnant, ignoble, dégueulasse… dans la vie que je vis et que nous vivons ensemble sur cette foutue planète. De plus je partage le point de vue du philosophe espagnol (Bilbao) Daniel Innerarity dans El Païs pour qui l’indignation n’est pas une politique :  »S’indigner pour rien ne change rien », et je souscris à sa question :  »Et si l’indignation agissait au profit de ceux qui se satisfont ou même qui sont responsables de l’état de fait contre lequel nous nous indignons ? » Pour autant s’indigner c’est mieux que la passivité. Alors oui ce qui m’indigne c’est par exemple le pillage de la Zambie par Glencore, groupe minier suisse, qualifié en 2003 par un Jacques Chirac alors Président de la République de  »patrons voyous », lorsqu’il a fermé sans préavis ni plan social le site de Métaleurop à Noyelles-Godault : 830 salariés de chute et un des sites les plus pollués de France. Voir le documentaire  »Zambie à qui profite le cuivre ? » (juste un sourire ça n’a rien à voir avec le bio). Dernier détail : BNP-Paribas fricote avec ce beau monde… »

 

 

Hervé Bizeul / Vigneron / Blogueur

 »Le décalage entre certaines choses que je lis dans la presse et ce que je vois sur le terrain, dans le vignoble. Enquêter, ce n’est pas répéter sans vérifier ce que le vigneron vous déclare. Je l’accepte dans les forums et les blogs, dans un article fait par le pro, j’ai du mal… »

 

 

Jean-Paul Daumen / Vigneron

 »Il y a vingt ans, lorsque j’ai repris le domaine familial, les règles de production de nos appellations méridionales étaient simples, basées sur le bon sens et les bonnes pratiques… Et les vins, eux, étaient des vins d’artisans, des vins d’auteurs, complexes, différents d’un domaine à l’autre, représentant le caractère du terroir, du millésime et du vigneron. Aujourd’hui les décrets ont été modifiés et sont devenus très compliqués, sans logique paysanne, fondés sur les exigences du marché et basés sur une sorte de pensée unique. Les vins sont devenus formatés, uniformisés, standardisés… simples. En limitant, par exemple, le pourcentage de Cinsault, vrai cépage méridional, ou bien en éliminant les plantations en gobelet  »au carré » parce que ce mode de conduite, bien que traditionnel et parfaitement adapté à notre climat, n’est pas compatible avec les nouveaux cahiers des charges interdisant les plantations inférieures à 5000 ceps par hectare, le vigneron n’est plus maître de ses propres choix ; choix qu’il faisait jusqu’alors en se basant sur sa propre expérience, sur les spécificités de ses terroirs, sur les traditions et sur l’histoire de son domaine. Cette orientation vers le goût et la pensée unique m’indigne. »

 

 

Mathieu Deiss / Vigneron

 »Ce qui m’indigne c’est le manque de vision du monde du vin en général ! [Cette] question porte évidemment aussi sur des questions plus larges, du socle politique de notre société, qui ont pour moi les mêmes tares. Quel manque de vision collective ! Quand on lit par exemple dans quelle déconfiture l’INAO  »découvre » les accords de Marrakech et les conséquences de la mondialisation ! La libéralisation à été acceptée par les états et la législation, voilà 15 ans, et là on lutte pour revenir sur notre propre accord… Deuxième point qui me retourne : l’inexploitation du potentiel qualitatif réel des terroirs français par manque de confiance en ceux-ci. Tant de crus alsaciens par exemple, inexploités car les producteurs n’ont confiance ni dans le potentiel naturel ni dans le client. Aucune fierté et pourtant ces crus sont nos Corton, nos Yquem, nos Côte Rôtie ! Pourquoi ne pas y croire et s’en donner les moyens ! »

 

 

Emmanuel Delmas / Blogueur / Sommelier

 »Ce qui me révolte est la nonchalance, voire l’incompétence des restaurateurs, qui voient avec le vin une vache à lait. Les prix sont complètement déconnectés avec des coefficients multiplicateurs allant de 4 à 6 voire davantage. Prix forts, service médiocre (températures de service rarement respectées) et conseil inexistant. Voilà comment dégouter les éventuels consommateurs de vin. Par manque de courage et de volonté, une immense partie des restaurateurs tuent le vin, dans un lieu de consommation pourtant essentiel ! »

 

 

François Desperriers / Blogueur

 »Ce qui m’indigne aujourd’hui dans le vin, c’est qu’on décide pour moi de ce que j’ai le droit de voir ou pas à la télévision à l’heure d’Internet. Depuis que je découvre le monde du vin, j’apprends à goûter, à apprécier les nuances, à écouter ceux et celles qui font le vin. Ma cave se remplit petit à petit entre mes achats et les cadeaux. Et bien que je lise et regarde quotidiennement des personnes qui parlent ou même dégustent du vin, je n’ai pas versé depuis 18 mois dans l’addiction. Je ne roule pas sous la table ni ne tombe dans le caniveau ! J’aimerais que le législateur prenne justement toute la mesure du vin plutôt que de le censurer. Qu’on cesse un peu de nous prendre pour des enfants ! Signé par Aurélien et moi. »

 

 

Olivier Grosjean / Blogueur

 »Ce qui m’indigne dans le vin ? La viticulture intensive ? La surconsommation d’insecticides et de pesticides ? Les prix délirants pratiqués par certains ? Non… Franchement, je ne vois pas… Ah ! Si, peut-être… Les dégustateurs en col blanc, complètement déconnectés des réalités du vignoble, qui n’ont jamais mis les pieds dans les vignes, qui ne cherchent pas à voir plus loin que le fond de leur verre et qui se permettent de vouloir donner des leçons à tout le monde, y compris aux vignerons. Professionnels du vin souvent, amateurs soi-disant éclairés parfois, mais le comble de l’indignité, toujours ! »

 

 

Pierre Guigui / Journaliste

 »La France est le pays européen utilisant le plus de pesticides. La viticulture, moins de 4% de la production agricole, en utilise pas moins de 20%. Et veut-on nous faire croire, malgré tout, que ce sont les viticulteurs bio qui polluent le plus ? On veut nous faire croire qu’en vinification, les bio utiliseraient à outrance des intrants. Rien ne limite ces produits en conventionnel non plus. Il serait temps qu’une charte de vinification réellement limitative voie le jour pour les bio… et les non bio. On veut faire croire que les OGM sont une solution possible alors que ce n’est qu’une impasse dont on ne connait aucunement les effets secondaires. On veut nous faire croire que le vin est le reflet de l’appellation malgré l’arrosage, l’utilisation des copeaux de bois et autres manips qui sont de plus en plus autorisées. On veut nous faire croire que le goût du vin est une affaire personnelle alors qu’il répond bien souvent à des critères de mode au service du plus grand nombre. On veut nous faire croire que le vin est une œuvre d’art, justifiant la spéculation financière, alors que ce n’est qu’un jus de raisin fermenté dont le coût de production (hors foncier) ne dépasse jamais les 20 €. Mais il faut dire aussi et surtout que le vin est un moment de partage qui procure des émotions magiques et qu’il autorise les déplacements en tapis volant… »

 

 

Olivier Humbrecht / Vigneron

 »Ce qui m’indigne le plus ce sont les gens ou producteurs qui pratiquent le  »presque ou quasiment » : je suis presque bio, on ne chaptalise presque pas, on n’utilise quasiment que des levures naturelles, nos rendements sont presque toujours faibles… Et, en général, le presque est plutôt l’exception ! Mais cela permet de dire des choses que le consommateur aime entendre et comme il n’a aucun moyen pour vérifier… »

 

 

Mathieu Lapierre / Vigneron

 »La chose la plus terrible dans le monde du vin aujourd’hui, c’est le mensonge que l’on retrouve dans tous les secteurs, que ce soit les négociants low cost qui cherchent à réécrire l’histoire en en inventant une nouvelle pour justifier leurs pratiques, ou les commerciaux bio/dynamistes qui bercent les gens d’histoires à dormir debout pour les charmer, ou les  »natures » qui n’assument parfois pas leurs échecs et préfèrent se cacher derrière une belle philosophie… En fait, personne n’assume dans ce monde du vin (ou rarement) et tout le monde ment depuis longtemps, très longtemps. Du coup, les consommateurs sont perdus. Et voilà le résultat, à part quelques aficionados, personne n’y comprend plus rien. Un peu d’honnêteté dans ce milieu serait la bienvenue. »

 

 

Anne-Victoire Jocteur Monrozier / Blogueuse

 »Certaines petites et grosses guerres entre les vignerons bios et traditionnels qui feraient mieux de partager leur quotidien au lieu de se matraquer et vivre dans leur coin. »

 

 

Hervé Lalau / Journaliste / Blogueur

 »Ce qui m’indigne le plus dans le vin, c’est qu’on en fasse le bouc-émissaire de l’alcoolisation, alors que c’est à l’évidence une boisson de culture, plus un moyen de s’imbiber comme au 19ème siècle. Autre source d’indignation : les fraudeurs et les médiocres qui profitent de la rente AOC pour vendre leur vinasse et tirent ainsi vers le bas toute l’image de leur AOC et du système AOC dans son ensemble. Et enfin, si vous me poussez dans mes derniers retranchements, les journalistes et les critiques ne faisant pas preuve d’honnêteté intellectuelle. Ceux qui donnent une prime à l’étiquette, notamment. Mais je dois dire que ces derniers temps, j’essaie de moins m’indigner et de plus soutenir ce qui me semble en valoir la peine. C’est moins déprimant. »

 

 

Mathias Marquet / Vigneron / Blogueur

 »Je m’indigne de ma bêtise : je vends à perte à un négociant un vin en vrac que j’ai cajolé, façonné, élevé, pour le retrouver en assemblage, en bouteille, dans le bas de rayon d’un supermarché, sous le nom générique de Bergerac, à 2-3€ et des brouettes la bouteille, avec en plus une étiquette souvent moche et ringarde, dont on imagine derrière un vigneron moche et ringard, ce qui est loin d’être mon cas, à en croire le responsable commercial de chez Renault, qui m’a encore dit ce matin  »qu’un mec comme moi ne pouvait pas se balader dans une Kangoo aussi moche et ringarde ». Ce sont ces mêmes bouteilles à fausse moustache que je critique à tort et à travers, qui pour moi font le plus grand mal à mon terroir. Je m’indigne du contresens total qu’il y a à travailler en biodynamie, en vinifications naturelles, travailler sur l’énergie du vin, jouer la musique d’un lieu comme dirait Joly, pour ensuite envoyer les vins parcourir des milliers de kilomètres pour finir dans des hangars de tôle ondulée, éclairés par des néons, achetés par des gens qui d’ailleurs, pour sûr, s’ils lisaient mon hesselisation, seraient prêts à mettre quelques centimes de plus à la caisse dans un petit panier d’osier que l’on viendrait récupérer chaque semaine. Je m’indigne que l’on ne vive pas dans un monde de Bisounours où chacun pourrait gagner sa croûte en faisant un bon vin, qu’il vendrait à un marchand, que ce dernier revendrait en faisant une marge honnête. Je m’indigne que Grobisou ne se présente pas en 2012. »

 

 

Ophélie Neiman / Journaliste / Blogueuse

 »Ce qui m’indigne dans le monde du vin : Les endroits qui s’affichent  »Bar à vins » mais qui vous servent leurs bouteilles dans de calamiteux petits godets à pied et vous le remplissent à ras-bord, masquant consciencieusement les arômes. C’est agaçant de ne pas pouvoir apprécier un vin juste à cause d’un verre miteux. »

 

 

Isabelle Perraud / Vigneronne / Blogueuse

 »Ce qui m’indigne, moi, aujourd’hui dans le monde du vin, c’est tous les moyens mis en œuvre pour faire qu’un vin soit le même ou dans la même lignée chaque année. Que l’on ne se préoccupe plus du millésime. Qu’on ait un vin qui ait un degré de 13° alors que le soleil n’était pas au rendez-vous. Que l’on ajoute tout un tas d’additif pour corriger ceci ou cela, et que ce ne soit même pas mentionné sur l’étiquette. Aujourd’hui, on ne peut pas faire la différence entre un vin qui a subi un beau lifting et un autre qui est tel qui l’est. Bref, un peu de transparence serait la bienvenue. Mais ce n’est pas demain la veille parce que le monde du vin, ce n’est pas seulement nous, petits vignerons… »

 

 

Eva Robineau / Blogueuse

 »Le fait qu’on le présente parfois comme un produit comme les autres. Le fait d’oublier qu’il y a des hommes derrière le vin. Le manque d’humilité de certains dégustateurs. Le manque d’accessibilité du monde du vin. »

 

 

Nicolas de Rouyn / Journaliste / Blogueur

 »Ce qui m’indigne dans le monde du vin est exactement ce qui m’indigne dans le grand monde. Les tartuffes, les voleurs, les démagos, les poujadistes, les faux-nez, les grossiers, les menteurs, les experts autoproclamés, les marchands de poison, les salauds en tous genres… C’est facile de cocher les cases dans lesquelles entrent certains producteurs, critiques, marchands, journalistes, blogueurs, etc. »

 

 

Iris Rutz-Rudel / Vigneronne / Blogueuse

 »Tout ce petit (et grand) monde, qui veut s’y faire son beurre sur le dos des autres. Qu’ils soient bio-industriels, naturel bornés, dynamo-mystiques du vin dans l’œuf ou autres amphoristes, raisonnés mon cul, industriels tout court, marketeurs de bouteilles, vins  »féminins » habillés à la mode pour nanas, buveurs d’étiquettes en tous genres, que cela soit geek-bobo ou Bordelais, les cols montés et les pince-sans-rire sur les blogs… Les inventeurs de nouveaux classements, genre Très Grand Cru de XY autour de 10 €… Les agents de l’œnotourisme et leurs vignerons en blouse et chapeau, les cartes de vin de la plupart des restaurants que je peux me payer… Le jargon des vinocampeurs, le vin  »fun et ludique » comme de l’Orangina ou de la Heineken (cochez votre case), les Tetra-Pack et autres cochoncetés sous prétexte de protection de l’environnement, les apôtres du  »vin santé » et leur contraire… Et le mauvais vin… Et j’en oublie encore des tas. »

 

 

Olivier Techer / Vigneron

 »La disparition programmée de milliers de petits exploitants des AOC Bordeaux, Bordeaux Supérieur, orchestrée par le CIVB, censé les représenter (30 millions d’euros de budget payé à 75% par les vignerons girondins) via le  »Plan Bordeaux ». Au lieu d’aller vers plus d’authenticité et de qualité, on se dirige vers des vins encore plus industriels et formatés, alors que le Bordelais recèle de nombreux grands terroirs injustement délaissés. »

 

 

Karine Valentin / Journaliste

 »Ce qui me gène le plus c’est la restriction des libertés et la sur-réglementation : celle qui prive les bons vignerons de la liberté de faire un vin qui correspond à leur terre, avec en priorité, les normes européennes qui visent à standardiser le goût du vin. Celle qui diabolise la consommation et prive le consommateur de la liberté de savoir à quel moment boire du vin n’est plus un plaisir. Les campagnes hygiénistes qui sous couvert de lutte antialcoolique servent d’autres intérêts. Le logo à destination des femmes enceinte sur les bouteilles et les attaques répétées des hygiénistes… »

 

 

Propos recueillis par Antonin Iommi-Amunategui

Illustration : Nicolas Malfin

©Vindicateur, 06/2011

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