Les boulets du vin

Publié le : 13 octobre 20175 mins de lecture

Le vin se traîne, piétine pas mal. Normal, il a trois boulets à la cheville : l’argent, le patrimoine, les nouvelles technologies. En bref, ces trois données, exploitées de travers ou suivant des perspectives d’abord superficielles, ont figé le vin dans une posture stérile, toujours la même. Et si on libérait le vin de ses antiennes anciennes, tout en le préservant des écueils 2.0 ? Juste trois énormes boulets à fracasser pour libérer le vin.

L’argent, ou le business en pole position

Dans le vin, l’argent on le trouve surtout dans les domaines prestigieux, les négoces puissants et les grands groupes en général. Ils payent notamment l’essentiel de la publicité et de la communication qui permettent à une presse spécialisée et à tout un secteur d’exister. Ces groupes puissants sont, par conséquent, exagérément visibles – que ce soit par la publicité ou par les articles qui sont consacrés à leurs produits – relativement à la stricte qualité de leurs vins. Et ce, évidemment, au détriment des domaines moins fortunés, moins répandus, qui font pourtant régulièrement de bien meilleurs vins. Quid des interprofessions pour peser dans la balance ? Com’ souvent trop diffuse, trop généraliste, inefficace de ce point de vue (sans compter qu’elles pencheraient parfois trop du côté des puissants). L’argent fausse donc la donne. Bien sûr, ce n’est pas nouveau, et un problème partout présent. Le boulet automatique, en quelque sorte.

 

Le patrimoine, ou la volonté d’immobilité

Le mot terrible. Le mot qui fait se coucher presque tout le monde. Le mot sacré, murmuré, intouchable. Le patrimoine c’est la volonté d’immobilité, pour ne pas dire d’immobilisme. On sait pourtant, depuis Roger Dion, que les terroirs (lieux du patrimoine par excellence dans le vin) ont d’abord été délimités pour des motifs socio-économiques. Le terroir est un  »fait social et non géologique », explique Dion. Jusqu’au 19è siècle, il fallait en effet pouvoir récupérer et transporter facilement les vins une fois ceux-ci achevés ; on n’allait donc sûrement pas décréter que le fin-fond de la cambrousse quasi-inaccessible était le meilleur  »terroir » ! Aujourd’hui, les terroirs historiques, patrimoniaux, qui font de très bons vins dans l’ensemble (les anciens n’ont pas choisi n’importe quoi non plus), sont donc évidemment surcotés par rapport à d’autres zones du vignoble moins prestigieuses – moins patrimoniales. Le patrimoine dans le vin, c’est l’excellence décrétée, imposée, et partant intouchable. Et c’est aussi un boulet pour le vin, en ceci que ces patrimoines viticoles tirent presque toute la couverture à eux ; le reste devant se contenter des franges. En deux mots, se démerder. En remettant le patrimoine à sa place, à sa place objective, moins haut sur l’échelle, on redonnerait de la vitalité, un bon coup du jus au vin dans son ensemble. Le problème, c’est qu’il y a aussi beaucoup d’argent en jeu (cf. boulet #1).

 

Les nouvelles technologies, ou la poudre aux yeux 2.0

S’attaquer au patrimoine et aux nouvelles technologies ? Rien ne va plus alors ? En fait, le propos n’est évidemment pas de condamner, par principe, ces nouvelles technologies qui mettent depuis plusieurs années leur nez dans le vin. Il s’agit plutôt d’une mise en garde. Les nouvelles technologies, et leurs applications web en particulier, sont pour l’essentiel des outils de communication, et doivent être considérées comme tels, ni plus ni moins. Etre présent sur les réseaux sociaux, avoir son site sur iPad ou ficher un QR-code au cul de sa bouteille ne fait pas le vin meilleur, ni même bon tout court. Oui aux nouvelles technos, si elles ne font qu’accompagner un travail rigoureux en amont, à la vigne, au chai. La fratrie Tarlant est sans doute, en France, le meilleur exemple de cette bonne conduite. En réalité, il en va de ces nouveaux outils comme des étiquettes décalées : ils ne doivent surtout pas être des cache-misères, mais des manières moins coûteuses (cf. boulet #1) de se démarquer pour faire connaître un bon vin sans pédigrée particulier (cf. boulet #2). CQFD ?

 

Antonin Iommi-Amunategui

Photo : Waking Life

©Vindicateur, 07/2012

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