Biodynamie, l’alchimie du vin ?

Publié le : 20 novembre 201913 mins de lecture

Les auteurs d’un livre paru en Angleterre prétendent indiquer les meilleures dates pour déguster un vin, suivant les théories astronomiques de la biodynamie : un même vin serait bon le lundi et mauvais le mercredi ?

A travers ce livre, qui sent fort le coup marketing, on peut interroger la nature et le bien-fondé de la démarche biodynamique, en toute objectivité. Pour ce faire, nous avons obtenu les témoignages croisés d’un scientifique conventionnel, docteur en physique, et d’un grand vigneron travaillant en biodynamie depuis de nombreuses années, M. Olivier Humbrecht.

 

 

Biodynamie, une science ?

 

La biodynamie est-elle une science, au sens le plus rigoureux du terme ? Il paraît aujourd’hui difficile de répondre par l’affirmative à cette question. Interrogé sur ce point, M. P.-G. David, docteur en physique, nous livre sa réponse :

 

 »L’ésotérisme me fascinera toujours. Ses acteurs mettent un soin infini à fonder des théories sur des hypothèses complètement inventées. Ce sont des édifices bâtis sur du rêve : les derniers étages sont toujours très structurés, mais la base est inexistante.

 

 »L’ésotérisme utilise en effet ce que j’appellerais la présomption de véracité : une affirmation quelconque (intuition, idée) est spontanément perçue comme vraie. La preuve du contraire est même souvent ignorée, sous le couvert du fameux on-ne-sais-pas-tout. Exemple : la position de telle ou telle planète a une influence sur les plantes, malgré les distances faramineuses auxquelles se trouvent ces masses. Conséquences : une multitude de théories, aussi diverses que variées, dont certaines sont plus populaires que d’autres pour des motifs historiques, médiatiques, voire charismatiques lorsqu’elles sont portées par des individus. Notez qu’il se peut tout à fait, qu’observant des règles ésotériques, l’on suive par hasard d’autres règles cachées, bien fondées scientifiquement parlant, qui finalement amènent les résultats souhaités – mais pas de la manière qu’on croit.

 

 »La science utilise, elle, la présomption de fausseté : une affirmation (théorie, résultat, conclusion) est spontanément perçue comme fausse. Pour convaincre, l’auteur doit publier dans des revues internationales, prouver ce qu’il avance via une démarche rééditable, le soumettre à un collège de confrères parfois concurrents, souvent sceptiques. Affirmer en science n’est pas de tout repos. Conséquences : quelques théories convergentes, débattues et revisitées, voire révolutionnées au cours du temps pour en affiner la pertinence et la précision. Exemple : la théorie de la gravitation.

 

 »Pourquoi l’ésotérisme ne mourra-t-il jamais ? Précisément grâce à la présomption de véracité qu’il porte en lui : n’importe qui peut se l’approprier et en faire ce qu’il veut, donner son avis, changer la donne. C’est du rêve, de la poésie, du lyrisme mais en aucun cas des faits avérés.

 

 »J’invite tous les sceptiques joviaux à consulter le site des membres du cercle zététique. C’est un courant sympathique constitué de passionnés et de scientifiques, qui pratiquent l’art du doute, à la recherche notamment des failles – éventuelles – de l’ésotérisme. »

 

Au-delà de cette stricte remontrance scientifique, il semble juste de dire que certaines affirmations de la biodynamie ne sont pas vérifiables, et donc sujettes à caution. Mais rappelons également qu’une partie non négligeable des plus grands domaines de France – autrement dit ceux qui conçoivent les meilleurs vins – travaillent en biodynamie. Par conséquent, quand bien même certaines théories et les actes qui s’ensuivent (comme par exemple de pratiquer un certain geste un certain jour parce que telle planète est positionnée de telle façon) seraient objectivement inutiles, la démarche biodynamique en général est, elle, bénéfique – bénéfique à la plante, au fruit, et encore durant la vinification ; en somme bénéfique au cours de toutes les étapes de la conception d’un vin.

 

D’ailleurs, M. David tempère quelque peu son propos lorsqu’il évoque précisément la biodynamie :

 

 »L’imaginaire, l’intuition et la science sont de très bons coéquipiers. Mais peut-il y avoir une réalité autre que créative, passionnée et littéraire en le lien qu’entretiennent les plantes avec les planètes et le zodiaque ? Le physicien que je suis ne peut imaginer d’autres acteurs de la mécanique universelle que les forces qu’on lui a enseignées : gravitation ? l’influence est trop faible ; électromagnétisme ? quelques photons trop dispersés ; interactions nucléaires ? portée trop courte.

 

 »En revanche, que les moments de la biodynamie, calés sur les positions célestes et l’observation du vivant, correspondent in fine à des cycles bien réels (climat, sol…) est une option que j’envisage tout à fait. Et, à titre personnel, il est évident que je préfère, de très loin, déguster un vin travaillé avec la passion de la terre et du vivant, que des produits de l’agriculture intensive ou des OGM, qui ont perdu leur âme et leur charme. En ça, le label biodynamique est un label utile, créatif et éthique, auquel je me rallie. »

 

 

Biodynamie, une vision

 

Interrogé sur la pertinence de ce livre qui entend offrir à ses lecteurs un calendrier précis de dégustation biodynamique, M. Olivier Humbrecht (à la tête du prestigieux Domaine Zind-Humbrecht depuis près de 20 millésimes) nous répond en tant que spécialiste de la biodynamie, laquelle est rigoureusement pratiquée sur son domaine qui produit certains des meilleurs vins d’Alsace :

 

 »Les plantes et la nature réagissent en fonction d’influences d’énergies provenant de la terre et du cosmos. C’est la vision bio-dynamiste. Chaque type de plante réagira plus ou moins à certaines influences en fonction de sa nature même. La vigne est une plante fruit, signée par la planète Mercure et ayant très peu d’attraction centripète (enracinement faible) ou centrifuge (facilité à produire du fruit). On la qualifie aussi de plante échange, similaire à une ortie ou une prêle. Toutes ces données permettent d’identifier des positions où la lune est située devant certaines constellations qui seront donc favorables à une plante comme la vigne. Ces jours particuliers sont importants pour des travaux concernant surtout le vivant : labour, soutirage, mise en bouteille, récolte dans la mesure du possible.

 

 »Je suis persuadé que le même vin se goûtera très différemment d’un jour à l’autre tant qu’il est encore dans une phase vivante (à savoir, fermentation ou élevage sur lies actives). Par contre, une fois le vin stabilisé, débarrassé de ses levures et bactéries, je pense que ces influences sont minimes. De toute façon, il faut que le vin soit bon tous les jours ! Au pire, il sera peut être un peu plus fermé certains jours. Quoi qu’il en soit, ces calendriers sont totalement inutiles si les vins ne sont pas produits en bio-dynamies. Ces influences subtiles ne seront jamais présentes dans des vins issus de culture et vinification conventionnelles.

 

 »La tendance ou mode nous vient du Royaume-Uni, où certains supermarchés organisent les dégustations d’achat d’après le calendrier des semis… Pour moi, c’est du marketing, car j’imagine que les vins dégustés sont loin d’êtres vivants. Le jour de dégustation importe donc peu. »

 

On remarquera notamment que M. Humbrecht emploie d’emblée le terme  »vision » pour parler de la démarche biodynamiste. Dès lors, il s’écarte (délibérément ou pas) de la voie rigoureusement scientifique ; de sorte que la question de savoir si la biodynamie est une science, au sens strict du terme, n’est peut-être pas si importante.

 

Il y a beaucoup de présomptions non vérifiées en biodynamie, comme le soulignent les scientifiques, mais encore une fois la démarche, l’attitude générale tend néanmoins à donner de meilleures plantes (vignes) et fruits (raisins) et donc de meilleurs vins.

 

En conclusion, les adeptes de la biodynamie brassent des convictions parascientifiques et agissent en accord avec elles ; une partie de ces actes est peut-être objectivement inutile, mais d’autres (agriculture biologique pointilleuse, grand respect et observation rigoureuse du processus naturel) ont, quant à eux, un effet objectivement bénéfique. En conséquence de quoi, les vins biodynamiques sont régulièrement meilleurs et mieux faits que ceux issus de l’agriculture conventionnelle – mais ce n’est peut-être pas grâce à la position des planètes.

 

 

Biodynamie et sciences exactes, deux conceptions opposées du monde ?

 

Pour approfondir le sujet, M. Humbrecht a précisé pour nous la notion de biodynamie telle qu’il l’entend :

 

 »Il ne faut pas oublier que la bio-dynamie se fonde sur l’observation de la nature et de la vie au fil de l’évolution. L’absence de compréhension de certains phénomènes naturels, dont beaucoup sont aujourd’hui connus, et la volonté d’y mettre un vocabulaire, se sont pratiquement toujours traduites par l’utilisation de descripteurs tels que divinités, dieux, influences planétaires… La bio-dynamie attache en effet une grande importance aux influences planétaires, car à l’origine chaque planète était la représentation d’un dieu issu de la mythologie, qui influençait la vie sur terre.

 »En réalité, les bio-dynamistes sont beaucoup plus attachés à la représentation symbolique des divinités rattachées à chaque planète du système solaire et à l’association qui en est faite avec les plantes et organismes vivants. Ainsi, si la planète Mars (Mars est le dieu de la guerre, le conquérant) est représentative de l’élément feu, on retrouvera la symbolique de cette planète dans les plantes qui exprimeront ce caractère colonisateur, envahissant, agressif. Le fraisier, colonisateur, avec ses feuilles dentelées, tiges et fruits rouges, son fruit aromatique et fort, sera décrit comme une plante signée par la planète Mars, car on y retrouve la symbolique rattachée à cette planète. Cela permet de classer les plantes selon une règle différente de la botanique classique où l’on sépare d’abord les monocotylédones et les dicotylédones… Je parle ici de botanique Goethéenne. En fait, toutes les plantes partageant la même signature planétaire, seront classées dans le même groupe et se comporteront de façon similaire face à des stress, des influences extérieures et auront les mêmes problèmes culturaux… Rien à voir avec l’idée réductrice de penser que seule la distance ou la masse d’un astre importe pour juger de son influence sur une plante.

 »En finalité, les bio-dynamistes pratiquent une agriculture durable, enrichissent et maintiennent la vie de leurs sols, récoltent des produits goûteux, ne polluent pas les sols, l’air et l’eau, ne répandent pas de molécules chimiques à tout va, dont certaines sont hautement toxiques, maintiennent des paysages beaux et où il fait bon vivre, emploient plus de personnes, ont un bilan carbone beaucoup plus favorable que n’importe quel producteur conventionnel… Comparé à cela, qu’a fait la communauté scientifique pour l’agriculture ? Des OGM, des grenouilles à deux têtes (avéré), des cultures intensives où le désherbage fait partie du cadre de vie, des sols morts qu’ils faut enrichir chaque année avec des engrais chimiques, une augmentation des molécules chimiques dans le corps humain, des paysages horribles, une intensification de l’agriculture qui a causé la disparition de millions de paysans, une augmentation phénoménale des gaz à effet de serre, des produits insipides, des pollutions de rivières et nappes phréatiques (150mg/l de nitrates à Turckheim), des phénomènes d’érosion catastrophiques, et surtout que l’on ne vienne pas me dire que cette agriculture permet de nourrir la population mondiale car elle serait plus productive, parce que c’est faux. Il y a d’ailleurs suffisamment de surfaces dans le monde encore non exploitées ou mal exploitées pour cela… Mais encore faudra-t-il y trouver de l’eau non polluée. »

 

 

Antonin Iommi-Amunategui

© Vindicateur, 10/2009

À lire en complément : La biodynamie ? ''Au début on rigole, on se moque''

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