Les journalistes du vin n’existent pas

Publié le : 13 octobre 20176 mins de lecture

Journalisme et vin ne sont pas solubles. Le vin n’étant jamais un  »fait », il ne peut recevoir un traitement journalistique. Les  »journalistes du vin » sont donc de doux imposteurs. Certains doublent même la mise, et perdent toute douceur, par des conflits d’intérêts manifestes… Boom ?

Rapprocher vin et journalisme, posture et imposture

 

C’est d’abord en effet une posture utile : le journaliste est quelqu’un de crédible et de fiable, qui étaye ses propos, ses articles, de faits, et s’appuie sur des sources qu’il a pris soin de vérifier en les recoupant. On peut faire confiance au journaliste, et c’est donc bien pratique d’en être un, de prendre cette posture.

 

C’est ensuite une imposture subtile : on peut bien sûr être journaliste et s’intéresser au monde du vin, à la filière, au marché ; enquêter, interviewer, traiter journalistiquement des sujets ayant rapport à cet univers – mais pas le vin lui-même.

 

En effet, sitôt qu’on parle d’un vin, on quitte automatiquement la sphère journalistique, pour entrer dans celle de l’opinion. Aucun fait, aucune source, zéro journalisme, subjectivité sensuelle et contextuelle : on parle juste d’un vin qu’on a goûté et des sensations/émotions qu’il nous a procurées à un instant T… L’imposture est bien là, consistant à arborer en permanence un titre qui, en l’occurrence, ne circonscrit pas l’ensemble de nos activités : car on n’est plus journaliste dès qu’on goûte un vin.

 

Aucun critique de vin ne devrait donc chercher à obtenir une carte de presse, et jouer ce double-jeu, où la ligne jaune est franchie au moindre commentaire de dégustation qu’on livre sans quitter sa casquette de journaliste. Pourtant, la plupart des critiques de vin professionnels sont, techniquement, des journalistes.

 

 

Le scandale des salons ?

 

Allons plus loin, moulinons gaiement. Les  »journalistes du vin » produisent, pour certains d’entre eux, notamment les plus connus, des guides des vins. Ils organisent ensuite, dans la foulée de ces guides, des salons (payants) ouverts au public, où sont présents quelques centaines de domaines préalablement sélectionnés dans les guides en question. Chaque domaine ayant dû débourser une somme coquette pour avoir droit à son petit stand sur le salon (somme chiffrée en milliers d’euros, selon le témoignage d’un vigneron).

 

Résumons ce parcours éthiquement casse-gueule : un vigneron est d’abord sélectionné par les  »journalistes du vin » (ou leur équipe), ses vins sont ensuite présentés dans leur guide, on lui propose enfin de participer au salon qui boucle la boucle annuelle – s’il met la main à la poche.

 

La première question à poser ici est : le vigneron met-il la main à la poche parce qu’il est convaincu que sa présence au salon en question lui assurera des retombées financières au moins équivalentes – ou parce qu’il craint de ne pas être sélectionné dans le guide l’année suivante s’il décline  »l’invitation » ?

 

Seconde question – et c’est là que surgit le risque de conflit d’intérêts : nos  »journalistes du vin » ne vont-ils pas avoir tendance à sélectionner en priorité dans leur guide les domaines dont ils savent d’expérience qu’ils accepteront ensuite de payer, chèrement, leur stand lors du salon organisé dans la foulée ? Un salon qui s’avère pour eux, en deux jours, une source de revenus probablement plus importante que la vente des guides sur toute une année.

 

On est donc légitimement en droit de poser la question du conflit d’intérêts, et au-delà celle de l’indépendance de ces  »journalistes du vin », dès lors que de manière indirecte les domaines payent les critiques (en l’occurrence pour avoir le droit d’être présent lors des salons qu’ils organisent).

 

 

Le salut par les amateurs ?

 

A la lumière de ces considérations, il paraît utile de s’interroger sur la pertinence de la hiérarchie amateur/professionnel pour ce qui relève de la critique de vin. Les professionnels de la critique qui ont pour beaucoup choisi d’adopter la profession – la posture – de journaliste, commettent en effet une faute originelle de par ce seul choix. Sans parler des conflits d’intérêts potentiels évoqués ci-dessus, qui mettent en question leur honnêteté et leur indépendance. Sont-ils dès lors vraiment fiables en tant que critiques ? On peut décemment en douter.

 

De leur côté, les amateurs revendiquent leurs goûts et préférences, les assument et les expliquent publiquement, sur leur blog ou sur des forums par exemple, sans prétendre à une quelconque objectivité – ni même seulement la suggérer – dans leurs critiques et commentaires. Ils disent ce qu’ils pensent, point. Leur avis est-il recevable ? Relativement, oui.

 

En somme, aucune critique ou note attachée à un vin n’est aveuglément recevable : elle n’est que le reflet d’une opinion plus ou moins sincère. Et c’est précisément le degré de sincérité de l’opinion émise qui fera toute sa valeur ; plus que l’opinion elle-même (relative, par principe). Il faut donc se fier à la sincérité, plus qu’à tout autre critère, lorsqu’on s’informe sur un vin ; et pour cela il faut pouvoir juger de la qualité de sincérité de sa source. Qui est donc, a priori, le plus sincère ? Chacun répondra en conscience.

 

 

Antonin Iommi-Amunategui

© Vindicateur, 05/2010

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