Le Chaos des AOC

Publié le : 18 septembre 20176 mins de lecture

Le système des Appellations d’Origine Contrôlées (AOC) bat de l’aile ; il est critiqué, trop compliqué pour les uns, trop juge et partie, trop hiérarchisant à tort et à travers pour les autres. D’ailleurs, le système est en cours de réforme et d’harmonisation à la sauce européenne – mais une réforme que certains critiquent déjà, car elle uniformiserait, car coûteuse, elle viderait les poches des vignerons qui n’ont pas besoin de ça… AOC, AOP, peu importe, c’est le chaos – ou le K.O. ?

Au-delà de l’agitation inconséquente, certaines lames de fond déroulent et font de vrais dégâts dans le paysage viticole. Car s’il y a des décennies que certains domaines ont fait le choix de délaisser les AOC pour faire les vins comme ils l’entendent, hors de tout cahier des charges, ce phénomène s’accroit aujourd’hui et certainement pour de mauvaises raisons.

 

 

Les AOC méprisées

 

Du point de vue du consommateur, il y a les petits et les grands vins, et les appellations qui vont avec : simple Bordeaux et grand Pomerol, petit Bourgogne et grand Pommard, simple Côtes-du-Rhône et grand Châteauneuf-du-Pape – voilà des exemples basiques de hiérarchie établie ; une hiérarchie qui cause beaucoup de tort à nombre de domaines. Certains, en effet, travaillent sur des appellations peu prestigieuses mais n’en conçoivent pas moins de grands vins : leur appellation, en l’occurrence, n’est qu’un obstacle ; une étiquette où on lirait  »ceci est un petit vin et ne doit donc pas coûter plus de quelques euros ».

 

On pense ici à l’anecdote lourde de sens révélée par Hervé Bizeul (Clos des Fées) sur son blog, lorsqu’un négociant lui propose de passer par son intermédiaire pour vendre  »un ou deux containers » de vin du Roussillon à 1 € la bouteille à destination du marché chinois… C’est très clair : certaines appellations (pour ne pas dire régions entières) doivent être très bon marché et, en plus, relativement qualitatives car la concurrence mondiale est rude !

 

Comment faire alors ? Comment, par exemple, vendre un Côtes du Ventoux (ou plutôt Ventoux désormais), même très bien réalisé, plus de 3 ou 4 € la bouteille ? Certains vendent à l’export, à l’étranger, où les discriminations entre appellations sont moins fortes, d’autres cachent (littéralement) le nom de leur appellation lors des salons, et font goûter à l’aveugle… Les vins de qualité issus d’appellations peu prestigieuses – des vins qui coûtent souvent cher à produire (faibles rendements, agriculture précise et respectueuse, élevages de qualité, etc.) – doivent donc jouer sérieusement des coudes pour s’en sortir.

 

Ainsi, certains domaines peuvent parvenir à convaincre de la qualité de leur production, à sortir du lot, être alors réputés pour leur nom, bien au-delà de leur appellation ; mais c’est un long et difficile chemin, qui laisse fatalement des domaines sur le bord de la route. Quant aux domaines, rares, qui y parviennent, eh bien, ces temps-ci… on les pousse hors de l’appellation, on les jette hors l’AOC !

 

 

Les grands qui giclent de leur AOC

 

Henri Milan n’est plus en appellation Les Baux-de-Provence : il n’est plus dans les clous qu’il a contribués à faire briller. Dans le Rhône, des rumeurs circulent autour de quelques grands domaines, très connus des amateurs, travaillant sur certains villages de Côtes du Rhône : ils pourraient être sortis de leur appellation, perdre cette AOC de laquelle ils sont sûrement les plus beaux représentants ! On marche sur la tête… Dans le Languedoc, certains jeunes domaines qualitatifs songent aussi à sortir de l’ornière, à quitter leur appellation ; leur chère appellation car, la plupart du temps, les vignerons y sont attachés, et ce n’est pas de gaieté de cœur qu’ils envisagent d’en sortir.

 

On ne peut guère citer les noms, étant donné que les intéressés ne le souhaitent pas ou que les faits ne sont pas encore avérés ; mais l’inquiétude est fondée, les indices probants : les domaines les plus qualitatifs sont sous la menace de l’uniformisation, au prétexte notamment de devoir rentrer dans un cadre organoleptique  »représentatif » de leur aire de production… Il faut rentrer dans le rang, dans la moyenne, ou perdre l’agrément ? Est-ce la bonne direction pour une réforme ?

 

 

Les deux maux des AOC

 

Le problème, de fond, celui qui entraîne une douzaine d’autres complications avec lui, n’est pas l’existence d’un système d’appellation d’origine contrôlée (ou protégée) qui est absolument indispensable, en vérité ; mais plutôt, d’une part, la hiérarchisation a priori des appellations (qui fait dire à Pierre, Paul ou Jacques qu’un Côtes du Rhône c’est forcément petit et qu’un Châteauneuf c’est forcément grand – alors que l’inverse strict est possible) et, d’autre part, le fait que les meilleurs représentants de chaque appellation ne sont pas ou pas assez consultés dans le cadre d’une refonte du système. Souvent, ils sont même marginalisés.

 

Est-il si difficile de désigner les meilleurs représentants d’une appellation ou d’un territoire ? N’existe-t-il pas des guides/revues/sites qui passent leur temps à faire… précisément cela, en toute indépendance qui plus est ? Il y à, là-dessous, des enjeux de pouvoir et de chapelle médiocres, qui risquent de coûter cher à toute la filière.

 

 

Antonin Iommi-Amunategui

© Vindicateur, 03/2010

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