La Mort de Robert Parker !

Publié le : 14 août 20206 mins de lecture

Attention, ceci est un exercice d’anticipation ! Le célèbre critique, Robert M. Parker Jr., 62 ans et des poussières, est bien vivant. Mais que se passerait-il s’il rendait son dernier souffle ? Un dernier petit 92/100 et le voilà – passez-moi l’expression – mis en cave, six pieds sous terre… Et après ?

Vivant, Parker crée le marché

 

Parker crée littéralement une partie du marché, et bien au-delà du seul Bordelais qu’on l’accuse carrément d’avoir uniformisé, parkerisé.

 

Les notes de Parker desservent d’ailleurs les vignerons autant qu’elles peuvent les servir : si Parker attribue une note élevée à un vin bon marché, tous les vins de cette appellation ou assimilés auront du souci à se faire, car le prix du vin en question sera susceptible de devenir le plafond au-delà duquel aucun acheteur (les pros notamment) ne voudra aller. Et la belle note donnée par Parker, à l’origine de ce nivellement des prix, est-elle fondée ? Pas forcément, nul n’étant évidemment infaillible.

 

Parker crée donc une partie du marché ; et même du marché de  »seconde main » car, sur les sites de vente aux enchères par exemple, les particuliers mettent souvent en avant la note ‘RP’.

 

L’avis de Parker pèse donc dans la balance des prix du vin d’un bout à l’autre de la chaîne. Qu’un seul homme ait ce poids, cet impact, quelles que soient par ailleurs ses qualités et compétences, sur le fond c’est une folie… dont lui-même s’excuse !

 

En fait, les notes de Parker rassurent : elles sont confortables, feu de cheminée et pantoufles… C’est devenu une tradition, une vieille habitude qu’on ne met plus vraiment en question ou qu’on met systématiquement en question, cela ne fait aucune différence : acceptées ou attaquées, les notes de Parker sont là, bien installées dans le paysage ; c’est l’arbre qui cache la forêt ? D’ailleurs l’homme commence à ressembler à ses notes : sur Twitter, il se félicite que Sarkozy ait remis la légion d’honneur à un général de l’armée américaine, puis explique qu’il a enfin été voir Avatar en 3D et que c’est super… Bien dans les clous et bien plan-plan, comme ses notes ?

 

 

Parker est mort

 

Nous y sommes, début de l’exercice d’anticipation : Parker est parti. Que se passe-t-il maintenant ? Y a-t-il quelqu’un(e) pour prendre le relais, devenir la référence, l’étalon-critique ? A un tel degré, non, personne. On retrouve plutôt le faisceau des grands critiques et des grandes publications, tous et toutes placés sur le même niveau, auquel il faut ajouter la donne Internet, de plus en plus forte et dynamique.

 

Et soudain les notes d’un(e) seul(e) n’ont plus d’impact direct sur le marché. Comment réagissent les domaines, les châteaux ? Pour être mis en valeur d’un point de vue critique, leur objectif devient certainement l’accumulation d’un maximum de bonnes notes et commentaires, issus d’autant de sources que possible. Par conséquent, la masse des critiques – professionnels et amateurs – est valorisée ; tout comme les méta-guides qui conjuguent et restituent plusieurs sources en une seule. Il ne s’agit plus de plaire le plus possible à un seul, mais de déplaire le moins possible à un maximum : il faut avoir la meilleure moyenne possible.

 

 

Moyenne : le mot est lâché, libéré

 

Une seule note ne suffisant plus à faire vendre, il faudra avancer une moyenne de plusieurs belles notes pour que le client (particulier ou pro) achète. Et c’est toute une économie – déjà largement en place et positionnée – qui se crée autour de cette nécessité de  »moyenne ».

 

Reprenons l’anticipation : les critiques individuels cessent progressivement de publier eux-mêmes, directement, leurs notes – ils les vendent plutôt aux méta-guides sans passer par la case public ; des méta-guides qui les intègrent et en soumettent enfin la synthèse au public. Les nouveaux médias s’organisent : Gary Vaynerchuk (WLTV) et Aurélia Filion (Busurleweb) synchronisent leurs dégustations vidéo : mêmes vins dégustés live en visio-conférence. Les wine blogs se fédèrent sur des portails (Wine Everybody par exemple) où des bots font le tri instantané des dégustations et des notes, à mesure de leur publication, et en restituent la synthèse, claire et lisible, sur le portail. Les grands forums d’amateurs (comme LPV) ont acquis une telle puissance de référencement sur Google qu’ils sont l’objet de toutes les convoitises, et leur contenu est systématiquement pillé par les méta-guides les plus indélicats. Enfin, les guides mobiles se développent, à grands renforts d’applications iphone et de réalité augmentée…

 

Toute la critique est transformée ; une transformation dont l’ébauche est déjà très nette en ce jeudi 25 février 2010 : la technologie est au point, les idées font leur chemin, tout est ok – à un petit détail près : Parker est encore là avec ses notes qui médusent une partie du marché… Mais si tout cela arrivait de son vivant ? Souhaitons-le-lui !

 

 

Antonin Iommi-Amunategui

© Vindicateur, 02/2010

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