La biodynamie ?  »Au début on rigole, on se moque »

Publié le : 20 novembre 20197 mins de lecture

Il y a encore 10 ou 15 ans, la biodynamie était considérée, au mieux, avec un petit sourire condescendant ; au pire, comme une idéologie sectaire, nuisible. Les pratiquants de cette méthode culturale sont en effet d’abord passés pour un ramassis d’illuminés. Mais, certifications officielles et critiques bienveillantes aidant, la biodynamie a désormais pignon sur rue. Censément plus précise que l’agriculture biologique, moins risquée que les vins strictement naturels, elle connaît l’apothéose en 2007, avec sa mise en oeuvre au Domaine de la Romanée-Conti. Mais ce succès n’a pas été tout seul. Deux vignerons, Olivier Humbrecht et Nicolas Joly, biodynamistes convaincus de longue date, reviennent sur cette évolution.

Des critiques persistent (et signent)

Rappelons d’abord que la biodynamie repose sur des postulats dont une partie, au moins, n’a pas de fondement scientifique avéré. Ainsi, l’influence de la position des astres sur les cycles de la vigne. Ou encore les préparations spécifiques, poudres minérales répandues à des doses infinitésimales et autres bouses vivifiantes enterrées dans des cornes de vache… D’où que des critiques, souvent légitimes, persistent sur tel ou tel aspect de la méthode. Sans parler de celles formulées à l’égard de Rudolph Steiner, théoricien controversé de la biodynamie.

Mais, d’une manière générale, les bienfaits de la biodynamie sont reconnus ; et la qualité des vins qui en sont issus, attestée. On n’explique pas tout, mais c’est bon. Souvent meilleur. Parce que le travail est soigné, l’attention constante. Alors si quelques passages du programme restent un peu flous, poétiques ou bizarres, on n’y attache pas trop d’importance. D’ailleurs, la biodynamie est indifféremment (?) pratiquée par des vignerons  »naturels » et par des casseurs de vins naturels (Michel Chapoutier en tête, et plus récemment Nicolas Joly lui-même).

 

Extrémisme viticole ?

Non, la biodynamie n’est plus extrême, radicale ou délirante. Empirique à bien des égards, elle relève toujours de l’hypothèse, mais est largement respectée. De fait, l’extrémisme viticole se situerait plutôt aujourd’hui du côté des vins naturels. Ces vins sans rien d’ôté ni d’ajouté (ou presque). Des vins qui, selon leurs détracteurs, visent le vinaigre et vont finir dans la Seine (parce qu’en France ces sales-bobos-de-parigots en seraient les principaux consommateurs). Des vins qui, selon leurs supporters, sont plus sains, authentiques et ne font pas mal à la tête. Autre extrême du vin (il en faut toujours deux) le vin industriel, productiviste, pisseur de vignes, peu regardant sur ce qu’il contient… Et la biodynamie, où en est-elle, comment est-elle perçue ? La parole à ceux qui la font.

 

Olivier Humbrecht (Domaine Zind-Humbrecht)

 »Le cheminement du grand public est à peu près identique à celui de ce vigneron conventionnel, propriétaire d’une parcelle voisine à la nôtre : au début on rigole, on se moque, on critique les coûts de production et la quantité de travail, en disant que ce n’est pas soutenable. Après on pose des questions, plus pertinentes, on demande où on a trouvé tel ou tel matériel, on commence à faire des essais timides, et, un jour, le fils, ayant l’esprit un peu plus ouvert, vient vous voir pour vous demander des conseils et des adresses pour la certification bio, puis bio-dynamique. Le consommateur a évolué un peu de la même façon ! »

 »Un vigneron en bio-dynamie n’est pas capable d’expliquer toute la démarche avec un langage scientifique. Cela peut irriter certaines personnes, voire les offusquer, mais force est de dire qu’aujourd’hui, et comme cela devrait toujours être, le résultat est observable dans les sols et sur le végétal, et aussi dans les vins. Il est vrai que cela est peut-être encore considéré comme une démarche élitiste, car on ne trouve pas de vins en bio-dynamie en dessous d’un certain prix, mais souvent l’augmentation du prix est plus liée à l’effort qualitatif (baisse des rendements, main d’œuvre plus importante…) qu’à la méthode elle-même. Le consommateur de vin, produit issu d’un terroir et réalisé par un homme dans un contexte culturel, est aujourd’hui très ouvert à l’approche bio-dynamique car elle capable de révéler au mieux l’originalité et la personnalité d’un lieu. L’intérêt est qualitatif et c’est donc un intérêt qui durera dans le temps. L’aspect respect de l’environnement est aussi important, mais intéresse peut-être moins le consommateur de produits transformés. Dans le cas du vin, c’est avant tout la qualité du produit qui motivera l’acheteur, plus que le bilan carbone ou l’absence de résidus chimiques. Autrement on ne boirait presque plus de vins ! »

 

Nicolas Joly (Coulée de Serrant)

 »Depuis 10-15 ans elle avance à tâtons, grâce à son impact sur le goût. Dans 10-15 ans je la vois comme s’étant imposée un peu partout, et aussi un peu bradée sur le plan de sa profondeur. Il ne fait pas de doute qu’elle devient un marché, et sera de ce fait de plus en plus courtisée. La biodynamie peut se sous-traiter avec un chèque annuel à un conseiller. C’est mieux que si elle n’était pas appliquée du tout, mais moins bien que l’engagement profond d’une personne qui habite sur le lieu. En fait, quand on entre dans ce monde qualitatif d’énergies qui prennent corps dans la matière, un des éléments les plus importants est la présence, la conscience, la quête d’un homme au service de la Terre, qui veut faire parler son lieu. Cela implique beaucoup de choses : un paysage, des animaux, des rendements plutôt faibles, des tisanes appropriées, des ceps bien nés. La biodynamie est la porte ouverte vers une tout autre approche de l’agriculture. A terme, seuls 10 ou 20% des pratiquants auront une application profonde de sa philosophie ; les autres en auront une application seulement réglementaire. »

 

Antonin Iommi-Amunategui

Photo : Quartier Didot – Portes de Vanves

©Vindicateur, 06/2012

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