Haro sur une Côte Rôtie

Publié le : 14 août 20204 mins de lecture

Compte-rendu de dégustation sincèrement poétique d’un grand et beau vin du Rhône.

 

Domaine GILLES BARGE

Côte Rôtie – Cuvée du Plessy – Millésime 2006

Production : 24 000 cols

Prix au domaine : 27 €

Apogée : 2011-2016

Aération : 1 heure

Service : 16°C

 

Le vin se boit, se lit, se corne entre deux gorgées. Tout arôme perçu est une page lue. L’intrigue se dessine sur les parois du verre, le vin se livre. Plus que des analogies aux fruits, des mimétismes de matières – catalogue de comparaisons techniques et superlatifs savants dont l’amateur se fout franchement – chaque vin développe d’abord une ambiance singulière. Comme un roman il provoque une atmosphère qui lui est propre.

 

Voici Ampuis, cité des rouges Côte Rôtie dont les vignes poussent sur la roche métamorphique. En 1860, un vigneron nommé Barge y sévit déjà. Les générations suivantes poursuivent et précisent l’ouvrage, Jules, Pierre, puis Gilles, et encore Julien l’arrière-petit-fils. Ils se bagarrent à faire pousser le vin sur des pentes épiques ou sur des coteaux abandonnés à la friche depuis la première guerre mondiale. Aujourd’hui, l’histoire est celle de la Cuvée du Plessy, page 2006.

 

Le terroir, c’est la Côte Blonde, réputée et petite sœur de la Côte Brune, l’illustre. Le nom, c’est en souvenir d’un certain Duplessy, vigneron auquel cette parcelle appartenait jadis. Zéro descendant, alors cette cuvée ce sont chaque année des fleurs rouges sur sa mémoire, à sa santé. Des fleurs qui ne restent pas longtemps fermées.

 

 

C’est une boulangerie qui ressemble à un hammam

 

Le vin est ouvert depuis une heure… On s’engouffre dans une pièce éclairée de quelques brumes rouges ; des lampions peut-être. Les murs sont bruns comme des fourrures, la lumière est tigrée. Une pénombre où la chaleur beurrée des viennoiseries se mêle au moelleux acidulé des bonbons – c’est une boulangerie qui ressemble à un hammam. D’improbables brioches, à la chair fluide et musclée de fruits confits, se pressent aux vitrines. On fait quelques pas encore, sous le regard souriant de la toute jeune femme du boulanger. Simultanément mince et voluptueuse, elle se tient tranquille, mais ses joues disent qu’elle a envie de rire ou d’embrasser… La Cuvée du Plessy 2006 n’est pas puissante en alcool. A peine majeure, elle titre à 12.5°. C’est un vin comme un meilleur souvenir d’enfance. Excessif sans puissance, démesuré mais doux. Un fantasme de petit garçon, excité et pur en même temps… On tombe brusquement amoureux de la toute jeune boulangère, dont le mari est un fantôme endormi. Cette femme de vingt ans, au tee-shirt rouge serré l’été, qui tient la boutique en souriant drôlement des yeux, dans un nuage permanent de vapeurs suaves… La bouteille est vide.

 

Antonin Iommi-Amunategui

© Vindicateur, 09/2009

À lire en complément : Syrah, le cépage dépravé

Plan du site