Faut-il désembourgeoiser le vin ?

Publié le : 13 octobre 20175 mins de lecture

Le vin est socialement marqué, investi. Des tatouages sociaux qui font d’abord les prix : en hasardant un raccourci express, on pourra estimer que les vins précieux du Bordelais, de Bourgogne et d’ailleurs, ont des prix au moins autant liés à leur marché, leur cible, qu’à leur qualité ou leur rareté. De même, un cru du Beaujolais à plus de 20€, ça ne court pas les rues. Question de qualité ? Non, c’est bien le mot  »Beaujolais » qui sonne d’abord aux ouïes peu dégourdies comme une insulte…

D’autres régions et appellations sont également méconnues ou méprisées. Et tous ces a priori font la carte des vins : déformée, écartelée, notamment en termes de prix. Alors, quoi ? En décharnant les vins mieux nés de ces oripeaux de standing, on s’intéresserait davantage à la qualité, au-delà de la naissance, au-delà de l’appellation qui visonne bien… Faut-il donc sectionner la particule des vins chics ? Faut-il désembourgeoiser le vin ?

 

 

On met tout à plat et on redistribue les cartes ?

 

Les AOC font encore, souvent, les prix et la qualité – présumée – des vins. Mais c’est déjà moins vrai que jadis et naguère : d’un côté les divers classements de crus sont régulièrement mis en question, quand ils ne sont pas simplement obsolètes ; de l’autre des vins de table (ou vins de France) et des vins de pays de grande qualité s’embouteillent un peu partout, et ça ne date pas d’hier. Les AOC sont donc largement faussées et ça commence à se savoir.

 

La question est d’autant plus complexe que certaines AOC s’efforcent de maintenir un niveau de qualité élevé, et que de nouvelles AOC sont créées régulièrement pour mettre en lumière des singularités locales, qualitatives. Quand ce ne sont pas des AOC réputées  »petites » qui font la nique aux  »grandes ». Parker a d’ailleurs récemment lâché un 94 sur 100 à une appellation à la réputation riquiqui, un Côtes de Ventoux (du Domaine Saint-Jean-du-Barroux, sa cuvée  »La Pierre Noire » 2006 pour être précis). Tous les cas de figure coexistent donc, et si même un Parker commence à mettre le dawa dans la casa… On aboutit à un vrai casse-tête, sans autre issue que l’appréciation au cas par cas, et une relativisation générale du système.

 

Pouvoir indiquer l’origine, précise, d’un vin reste un fondamental qu’il serait absurde de mettre en question ; en revanche, il faut en effet sans cesse mettre en question la qualité a priori associée à telles origines, telles AOC. Il y a des Pauillac crasseux. Il y a des vins de table à tomber.

 

 

Gare aux cravates invisibles

 

Les plus coincés, stéréotypés, ne sont pas forcément ceux qu’on pense : le profil jeune urbain branché ne ronronne-t-il pas en matière de vin ? Ont-ils vraiment tué le père ? En vérité, comme le jeune urbain branché préfèrera en général bavarder avec sa voisine de droite plutôt que de se plonger dans les méandres terre-à-terre des appellations (ce en quoi on ne peut que lui donner raison) il aura tendance à régurgiter les schémas stroboscopiques qu’il a emmagasinés côté vin. Surtout si c’est un Français (le Français connaît le vin, c’est génétique). Donc il dira miam au Pauillac, berk au vin de table. On ne peut sûrement pas lui en vouloir. On peut en revanche lui proposer de déchiqueter ses schémas et de décider, à partir de tout de suite, que tout vin est a priori égal ; que s’il fait sien cet axiome, il part d’un bon pied et s’ouvre un horizon libéré.

 

C’est aussi bête et vite que ça. Tout vin est a priori égal. Et l’AOC, l’appellation d’origine contrôlée, protégé ? C’est le lieu de naissance du vin, son origine, son sol, une information physique, souvent incontournable mais jamais garante, en soi, de la qualité du vin. Olé.

 

 

Antonin Iommi-Amunategui

© Vindicateur, 09/2010

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