Evin est-il un Taliban ou un Jedi ?

Publié le : 13 octobre 20174 mins de lecture

Depuis peu, les mots Taliban, Iran ou Islamisme tournent et retournent dans la bouche de certains défenseurs de la libre expression du vin, comme s’il s’agissait d’arguments (notamment pour démontrer que la loi Evin, qui régit la communication médiatique autour du vin, est une mauvaise loi). Etrange fonds argumentaire, surtout lorsqu’il est repris en boucle. Un tantinet stigmatisant, peut-être. Vraiment, rien de plus positif à se mettre sous la dent… Un petit Jedi par exemple ?

Le vin est politique

 

Doit-on, en France, illustrer voire déterminer son désaccord avec une loi (la loi Evin, donc) à partir d’un interdit religieux ? Le rapprochement n’est-il pas largement hasardeux ? Si cette loi Evin est nuisible, mal fichue, à côté de la plaque, tout ce qu’on voudra, il faut pouvoir le démontrer sans tomber dans un racolage lexical qui n’est pas sans ambigüité.

 

D’ailleurs, c’est contre-productif : l’usage permanent, systématique, de cet argumentaire qui se veut spectaculaire (ou inversement) peut laisser penser qu’on n’a rien de mieux à avancer, aucun argument raisonnable – et démontrer que la loi est, en définitive, plutôt bonne.

 

 

Bouteille et Burqa

 

A tenter ainsi de médiatiser brutalement une problématique très spécifique, celle du vin et des médias en France, en usant de comparaisons quasi-tragiques (du type :  »la France est au même niveau que l’Iran pour ce qui est de parler de vin ! ») obtiendra-t-on jamais gain de cause ? Incertain. La fin justifie-t-elle ces moyens disproportionnés ? Improbable.

 

Au-delà, la répétition de cet argumentaire étrange indique qu’il est réfléchi, calculé, prémédité. Qui cherche-t-on donc à séduire et à persuader en se lançant dans de telles comparaisons, en opposant bouteille et burqa ? Les parlementaires ? Les consommateurs ? Cherche-t-on à surfer sur le débat autour de l’identité nationale, qui fait long feu et navre une bonne partie des Français ? En agissant ainsi on choisit en fait un camp politique, et c’est pour commencer une erreur stratégique, parce qu’en choisissant un camp, on se met l’autre (les autres) à dos. Et ce n’est plus de vin qu’il s’agit là, mais bien de politique.

 

 

Ce n’est pas que du vin

 

Sans vouloir polémiquer (trop tard ?), le vin n’est pas que du vin, et l’angle qu’on choisira pour en parler, le défendre, le promouvoir, le valoriser, n’est pas anodin. Marteler des contre-références si grossières, en montrant d’un doigt accusateur les extrêmes d’une religion d’où l’alcool est proscrit, c’est commencer à déboucher la bouteille de Pandore. C’est surtout, répétons-le, stratégiquement raté.

 

Il y a soixante-deux autres argumentations possibles, positives voire joyeuses, pour bousculer un peu la loi : éducation et œnologie en tant qu’instruments de lutte contre l’alcoolisation excessive, culture relocalisée par le vin, soutiens inédits à une filière qui connaît des difficultés, mises en valeur de l’agriculture, défenses d’un patrimoine remarquable… Mais qu’on lâche donc la grappe aux musulmans.

 

D’ailleurs, un Jedi a récemment été refoulé d’un supermarché anglais parce qu’il refusait d’ôter sa capuche. Oui, il existe bel et bien une  »Eglise Jedi » qui revendique 500 000 membres. Je pose donc la question qui fâche : les Jedi boivent-ils du vin et, si non, faut-il dire qu’en France nous en sommes au niveau de Tatouïne ?

 

 

Antonin Iommi-Amunategui

© Vindicateur, 06/2010

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