Dominique Techer dézingue l’archevêque de Bordeaux et le classement de Saint-Emilion

Publié le : 20 novembre 20196 mins de lecture

Une fois n’est pas coutume, nous publions in extenso une tribune du vigneron Dominique Techer (Château Gombaude-Guillot), pour le moins surpris de la récente « bénédiction » du carillon du Château Angélus par l’archevêque de Bordeaux, dans le cadre du nouveau classement des crus de Saint-Emilion, qui ne l’étonne pas moins… Un fact-checking grinçant.

« Intervention divine à Saint-Emilion »

« La cérémonie de bénédiction du carillon du Château Angélus de Hubert de Boüard par l’archevêque de Bordeaux a réveillé en moi le souvenir de pratiques passées, peu glorieuses, de l’Eglise catholique : les indulgences. Elles consistaient à racheter ses péchés, et par là s’assurer une place au ciel, au moyen de dons à l’Eglise. Comme le disait un ecclésiastique vénal du 16ème siècle : « Aussitôt que l’argent tinte dans la caisse, l’âme s’envole du Purgatoire. »

Qu’un notable parvenu fasse admirer par le Rotary Club local et ses plumitifs l’étendue de sa réussite financière, qu’il fasse se pâmer les sommités de la sous-préfecture en étalant le montant des travaux entrepris, qu’il les éblouisse par une débauche de vins prestigieux, de mets raffinés et de spectacles grandioses [« un rare bonheur » selon certains, ndlr] rien de plus banal. »

 

« Comment un archevêque peut-il faire la promotion d’un vin vendu plus de 300 euros la bouteille, soit près de la moitié du minimum vieillesse ? »

« Par contre, en ces temps de spéculation financière indécente et de paupérisation d’une part croissante de la population, comment un archevêque peut-il accepter de venir faire la promotion médiatique d’un vin vendu plus de 300 euros la bouteille, soit près de la moitié du minimum vieillesse ?

Quelle humiliation pour lui d’être ravalé au rang d’acteur de cinéma perché dans une nacelle et de devoir attendre pour officier, la dissipation de la brume matinale afin qu’arrive de la belle lumière pour les photographes !

On espère que la participation à cette farce n’a pas eu pour simple compensation les quelques bouteilles d’Angélus promises à la cave de l’évêché. Se damner pour si peu ! »

 

« Des miracles à la pelle »

« Mais Monseigneur Ricard aurait pu profiter de l’occasion pour édifier les populations locales en leur révélant les nombreux miracles survenus lors des opérations de classement des grands crus classés de Saint-Emilion. Miracles qui, par leur ampleur, attestent incontestablement d’une intervention divine !

Miracle, la transmutation du modeste terroir de Château Quinault en Grand Cru Classé. Situé sur les « sables de Saint-Emilion», ce grand cru a été racheté dernièrement par Bernard Arnault et Albert Frère, et devrait voir sa valeur marchande fortement revue à la hausse.

Miracle, le classement direct du Château Valandraud et de La Mondotte en Premier Grand Cru Classé B, sans passer par la case Grand Cru Classé !

Miracle à rebours que le déclassement de La Tour du Pin Figeac, pourtant situé sur un excellent terroir juste en face de Cheval Blanc, propriété de Bernard Arnault et Albert Frère.  Dans leur malheur, les propriétaires actuels seront assurément réconfortés par de charitables propositions de rachat émanant de très pieux voisins.

[A cette liste, on pourrait ajouter le Château Croque-Michotte, que la commission n’a pas retenu, lui reprochant notamment de ne pas avoir effectué de « démarches environnementales » alors qu’il est certifié bio depuis 1999, ndlr]

Divine et totale surprise que l’accession au rang de Premier Grand Cru Classé A du Château Angélus d’Hubert de Boüard, président du Comité Régional de l’INAO, membre du Comité national de l’INAO, président de l’ODG Saint Emilion, Premier Jurat de Saint-Emilion, administrateur du Conseil des vins de Saint-Emilion, membre du CIVB et consultant de plusieurs crus promus. Parmi ceux-ci, celui du président du Conseil des vins de Saint-Emilion.

Divine surprise que la promotion en Grand Cru Classé de nombreux domaines possédés par de grandes fortunes, promotion il est vrai, légèrement favorisée par une grille d’évaluation génératrice de gros investissements de prestige.

Enfin, intervention divine pour que l’INAO laisse se dérouler sans broncher un classement où la grille de cotation n’existait pas à la remise des dossiers et n’a été connue de l’ensemble des candidats que huit mois plus tard.

Que de miracles ! Et s’il lui restait des forces à Dieu, ne pourrait-il pas aussi chasser les marchands du temple ?

Dominique Techer, vigneron à Pomerol, soucieux du devenir des Appellations d’Origine, plus très Protégées de la cupidité ambiante. »

 

Propos recueillis par Antonin Iommi-Amunategui

Photo : Dominique Techer sous l’objectif d’Armand Borlant

©Vindicateur, 11/2012

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