Bienvenue dans les banlieues du vin

Publié le : 20 novembre 20195 mins de lecture

En France, les vins naturels c’est comme les immigrés : on leur demande généralement de meilleurs résultats, une meilleure tenue, que le quidam du coin. Comme si le type d’ici, le pékin moyen, il était toujours bon et bien. Alors oui, c’est vrai, les vins naturels ne sont pas toujours bons – que fait la police ? Mais, au fait, aucun vin n’est toujours bon ; et ce procès récurrent à l’encontre des vins naturels est évidemment bidon. Idéologique, lui… Démo.

Vin naturel et immigrés : même combat

 

On reproche beaucoup au mouvement (sic) des vins naturels d’être idéologique, voire dogmatique jusqu’aux orteils (qu’ils ont sales). Mais, comme les immigrés et leurs enfants, encore massivement concentrés en périphérie des grandes villes ou dans les  »quartiers », les vins naturels sont d’abord rejetés par le vin main stream. Ils en conçoivent parfois un repli, une forme de communautarisme ? Sûrement. Mais rien d’étonnant, ni d’agressif à cela.

 

Pour rappel, lorsque les Vignerons Indépendants de France réunissent plus de 300 de leurs adhérents lors de leurs rencontres nationales, et que Michel Chapoutier, d’ailleurs assez doué sur l’estrade, lâche une bonne grosse vanne sur les vins  »nature », toute la salle applaudit, les  »bravo » fusent… De la solidarité chez les vignerons ? Que dalle, bonhomme. C’est chacun pour sa paroisse, mais la plus étriquée n’est peut-être pas celle qu’on pense.

 

 

L’idéologie, argument-napalm

 

L’éternelle rengaine à l’encontre des vins  »naturels », c’est qu’ils seraient idéologiquement marqués au fer (rouge ?). Des vins extrêmes (et déviants) faits par des extrémistes (des déviants, encore). Autant d’hommes fermés au dialogue, de femmes obtuses dans leur vision. En un mot, des ayatollahs (ah, la belle rhétorique) qui vont parfois jusqu’à provoquer les autorités.

 

Pourtant, la vérité c’est qu’on leur a donné ce rôle, on leur a attribué ce fondamentalisme hirsute, on a généralisé des exceptions, des incidents, des contextes. C’est, en effet, bien commode pour éluder la vraie question : la question du vin artisanal – le fondement même de ce qu’on appelle aujourd’hui  »vin naturel ».

 

 

Vin-haïku

 

Les faiseurs de vin artisanal visent une forme d’épure dans le vin. Un jus de raisin fermenté qui exprime un sol, bien travaillé, et un fruit, sain et mûr ; que l’homme accompagne jusqu’à sa mise en bouteilles. On cherche le geste juste. On ne bricole ni avec le raisin, ni avec le moût : de l’huile de coude, c’est tout*, c’est assez. Et on en conçoit enfin, parfois, des vins-haïku… Pardon ?

 

Les haïkus, ce sont ces poèmes brefs comme un tweet. Les vins-haïku, ce sont ces vins qui visent l’épure, la précision d’un effleurement, et si possible les frissons qui suivent. Les meilleurs vins naturels parviennent à ce résultat, cette émotion authentique.

 

Attention, le vin-haïku n’est pas nécessairement un vin léger ou facile, c’est d’abord un vin intense dans son expression ; et il est bref en ceci qu’il ne jette pas un pavé dans la bouche, il ne viole pas les gencives, mais n’en laisse pas moins un long et franc souvenir.

 

Alors, quoi, alexandrins classiques ou haïkus énergiques ? Il y a assez de place dans le grand bouquin du vin pour les deux formes d’expression, et d’autres encore. Lisez de tout. Think vraiment different.

 

 

* : Dans sa charte, l’Association des Vins Naturels prescrit d’éviter tout intrant œnologique, à l’exception éventuelle de faibles doses de sulfites. De leur côté, les vignerons de l’association Sève s’engagent, entre autres, à  »remettre en cause l’utilisation systématique de techniques (…) et d’intrants (…) destinés à corriger les déséquilibres ou les défauts venant des vignes, aboutissant à une élaboration artificielle des vins » ; et  »à limiter les intrants destinés à stabiliser le vin ».

 

 

Antonin Iommi-Amunategui

Photo : Jean-Gabriel Barthélémy

©Vindicateur, 10/2011

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