Peut-on être beauf et aimer le beau vin ?

Publié le : 13 octobre 20175 mins de lecture

Un match de foot, affalé et grognant sur le canapé, en short s’il vous plaît, avec à côté, un verre de jus de raisin sublimé, belle bouille de vin propre à inspirer deux ou trois brouettes de poètes… Est-ce compatible ? C’est non seulement compatible, mais nécessaire. Opération de démocratisation du vin, première phase.

Le vin traverse les classes sociales

 

Le vin est un prisme social. Transverse. A travers lui, on voit gigoter classes sociales (ce qu’il en reste), opinions politiques (des décroissants aux conservateurs), problématiques économiques et, last but not least, art et culture. Le choix d’un vin, le lieu où est opéré ce choix, en disent long sur nous. Le contexte de sa consommation aussi. Le point commun à tout cela ? Le vin, qui est un révélateur social.

 

Mais les beaux vins seraient-ils réservés à une élite économico-cultivée ? C’est assez faux aujourd’hui, si ça a jamais été vrai. Rappelons que la plupart des vignerons sont d’abord des agriculteurs, des travailleurs de la terre même s’il leur arrive désormais de mettre les mains sur Twitter, pour reprendre le joli mot d’Aurélia Filion ; et la plupart vendent tout ou partie de leurs vins, beaux ou pas, à des prix raisonnables – parce qu’autrement ils ne les vendraient simplement pas.

 

Seuls les vins très chers, inaccessibles, appartiennent à une minorité de consommateurs privilégiés. D’ailleurs, les domaines faiseurs de vins si chers se mettent de plus en plus à concevoir des cuvées plus accessibles en termes de prix. Quoi qu’il en soit, les beaux vins – qui ne sont pas forcément chers – appartiennent à tout le monde, pourvu qu’on les rencontre. Où sont-ils donc terrés ? Sûrement pas sur Twitter ! (Quoique.)

 

 

L’étrange concept de rareté démocratique

 

Considérés individuellement, les beaux vins sont souvent méconnus ou inconnus, parce qu’ils sont rares. Individuellement, pris séparément, c’est vrai. Mais la somme de tous ces beaux vins rares, leur multiplicité, constituent une réserve vaste, inépuisable : cavistes, bars à vins, restaurants ou amis simplement, sans oublier Internet, sont autant de biais pour les rencontrer. Sans parler des domaines eux-mêmes, bien entendu. Un petit effort de recherche ou un hasard complet, et on se trouve avec un beau vin dans le verre. La rareté n’est donc pas un obstacle ; en l’occurrence elle est plutôt richesse, variété qu’il faut encourager.

 

Où est le problème alors ? Les beaufs, que nous sommes tous, un peu, beaucoup ou 3-0, n’ont-ils pas le goût des beaux vins ? Leur langue est-elle trop chargée de picrate pour espérer seulement reconnaître le bel inconnu dans le verre ?

 

 

Du goût des beaufs

 

Posez devant n’importe quel être humain adulte le premier gros rouge venu, à moins de 2€ la bouteille, issu d’un rayon de supermarché. Posez à côté une bouteille d’un vin meilleur (pas difficile). Demandez-lui enfin de goûter les deux et de dire sa préférence, sans autre forme de commentaire. A tous les coups, le meilleur vin sortira vainqueur de la petite compétition. D’abord, parce que le premier vin est à peine buvable. Ensuite, parce que le goût – même s’il s’éduque et s’affine – est un sens universel.

 

Le goût n’est donc pas le point faible, en l’occurrence. Il sera plutôt le déclic, ce sens qui permettra de réfléchir le grand écart qualitatif qui divise les vins en général. Du juron au génie. Il suffit donc de rencontrer ce premier beau vin, ce vin-conscience à partir duquel on deviendra plus attentif et plus exigeant… Mais ça ne nous empêchera pas de continuer à nous vautrer sur le canapé, à peine habillé, et de grogner devant un match de foot. Il ne faut pas que cela nous en empêche.

 

Si le vin, le bon, demeurait l’affaire de quelques-uns, d’une clique de privilégiés quelconques, d’intellectuels du sensuel, de jeunes gens en chemise et cravate invisible ou de snobs plus grisonnants, il perdrait son aura.

 

Car le beau vin charme indistinctement, il a ce pouvoir-là, du beauf au gentilhomme, idem pour l’équipe féminine. Le beau vin n’appartient pas à une caste, il est à tout le monde. Il est populaire. Et c’est ainsi que le souhaitent les meilleur(e)s vigneron(ne)s.

 

 

Antonin Iommi-Amunategui

© Vindicateur, 06/2010

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