Des amateurs plus pointus que les pros ?

Publié le : 13 octobre 201710 mins de lecture

Jérôme Pérez, l’un des fondateurs et administrateurs du site d’amateurs  »La Passion du Vin », nous détaille le rapport amateurs/professionnels tel qu’il existe de son point de vue.

Le projet « La Passion du Vin » a pris des proportions remarquables, à tel point que des viticulteurs célèbres (Deiss, Bizeul, Comme…) sont venus se mêler à la plèbe des amateurs et échanger avec eux, d’égal à égal, avec le risque de dérapage propre à tout forum. LPV commence même à faire un peu d’ombre à certaines publications ayant guide et pignon sur rue ; des publications professionnelles qui, il faut le souligner, feignent souvent d’ignorer le phénomène des sites d’amateurs de vin, LPV en tête, puisqu’ils n’en font pas ou peu état. De crainte peut-être de perdre une partie de leur lectorat au profit de ces derniers ? Jérôme Pérez nous livre quelques éléments de réponse :

 

 

Vindicateur : Quelle est selon vous, la différence essentielle entre les avis d’amateurs, tels que ceux formulés sur LPV, et les avis des critiques professionnels, publiés dans les guides notamment ?

 

Jérôme Pérez : De mon point de vue, il y a plusieurs différences. La première est l’indépendance du jugement : il est difficile à une revue d’être objective sur un vin quand le domaine vous verse des milliers d’euros pour une page de publicité dans le même numéro. La presse s’en défend, bien entendu, sauf que de nombreux internautes nous pointent du doigt, des exemples précis sur lesquels on est en droit de se poser des questions.

 

Ensuite, certains amateurs vivent dans des régions viticoles, en sont des connaisseurs hors pair, des spécialistes. Ils sont à l’affût des nouveaux talents, et on développé, sur des appellations précises, une meilleure connaissance que bien des professionnels, même si ces derniers, sont des généralistes de grande qualité ; on voit aujourd’hui que cette presse spécialisée s’intéresse à des domaines dont on a déjà et d’abord parlé sur LPV.

 

De plus, la plupart des amateurs qui écrivent sur notre site, à la différence des professionnels, prennent le temps de goûter une cuvée, parfois sur plusieurs jours, laissant au vin le temps de se modifier à l’air, ont parfois plusieurs bouteilles de ce vin, le voient évoluer. Un professionnel, juge souvent le vin sur très peu de temps, à un degré d’aération qui n’est pas forcément le bon et a rarement l’occasion de regoûter ce vin. Le jugement est donc moins complet, à mon avis, et plus péremptoire.

 

Par ailleurs, le consommateur paie le vin et cela fait une grosse différence : quand on achète une bouteille de vin très cher, il y a des attentes correspondantes. Un consommateur, parce qu’il a payé, ne se gêne pas pour dire son désappointement ou sa grande satisfaction. La seconde conséquence de l’achat du consommateur qui paie ce qu’il commente réside dans le fait qu’il a la certitude de déguster les vins qui sont commercialisés, et non des échantillons sélectionnés par les domaines dont on peut légitimement douter, dans certains cas, qu’ils sont rigoureusement identiques au vin qu’on trouve dans le commerce.

 

Enfin, les avis sont pluriels, parfois laudatifs et unanimes, parfois controversés : mais chacun peut se faire une idée du vin qui est commenté. La source n’est pas unique. Comme vous le rappelez, 400.000 messages, cela fait parfois pour le même vin de nombreux commentaires, à mettre en lien avec les notes compilées par notre ami de toujours, Bertrand Le Guern, infatigable dénicheur, statisticien de génie (à qui LPV doit beaucoup en coulisse).

 

 

V : LPV a récemment publié les avis de quelques-uns de ses membres sur les vins du célèbre Domaine Gauby (Roussillon) et concernant les millésimes récents il en est ressorti un écart considérable avec les avis des guides publiés (RVF, Bettane & Desseauve…). Comment l’expliquez-vous ?

 

JP : Sur ce sujet précis, voilà déjà longtemps que j’avais alerté sur la question de l’identité des vins sudistes. Je m’explique : on revendique l’adéquation du vin avec son terroir. Alors bien entendu, c’est sur la définition du terroir que la question achoppe. Si on considère le terroir comme un lieu ayant un climat, un sol, un sous-sol, une exposition, une altitude, on ne peut occulter la dimension climatique. J’avais alors parlé de « sudisme » pour faire référence à la négritude de Senghor, avec ce sentiment qu’il y avait bien une identité sudiste qui se développait au travers d’équilibres nécessairement différents de ceux des vins d’autres régions : d’ailleurs, demande-t-on les mêmes caractéristiques à un pinot noir alsacien et à un Châteauneuf-du-Pape ? L’émergence des vins du Languedoc et du Roussillon a posé problème à la presse spécialisée française comme l’émergence de vins modernes, que l’on peut considérer comme parkerisés. J’y vois comme une forme de réaction à la française, comme si les vins du Languedoc-Roussillon étaient considérés comme les vins du nouveau monde avec en filigrane, la peur de la standardisation face au particularisme hexagonal : la lutte contre la montée des vins que l’on a caricaturés comme sur-extraits, sur boisés. Pour moi, cela a entraîné des excès, ce que je nomme sous le vocable de « dictature de l’acidité » dans le contexte de laquelle, tout vin de qualité doit être vif, frais. Je pense que ce « mieux disant » a poussé certains producteurs à vinifier différemment, à récolter plus tôt, pour obtenir un type de vin qui corresponde à ce courant. (Et je pense aussi que cela a pu correspondre au goût du moment de tel producteur : le goût est aussi formaté à l’aune de notre environnement et évolue sans cesse.) Mais on peut sans doute aussi avancer les complexes de certains vignerons à affirmer ce sudisme, avec tout ce qui se disait sur ces vins soit disant « bodybuildés ».

 

Gauby à partir du début des années 2000 a changé son style dans ce sens. Que cela plaise à la presse spécialisée va de soi dans la mesure où cette dictature de la fraîcheur fut initiée par elle-même. Je dis souvent qu’en dégustation, on trouve ce que l’on cherche. Si on déguste des vins sudistes en y cherchant le graal de la fraîcheur, il est clair qu’en buvant ce type de vin, on ne peut qu’être satisfait. Devant les décalages entre les trois étoiles obtenues dans le Guide Vert [le guide de la Revue du Vin de France – Ndlr] par ce domaine et les commentaires qui tombaient régulièrement sur le forum, nous avons décidé de faire du domaine Gauby l’objet de la rubrique « domaine du mois » : chacun goûte des vins de son côté et envoie les comptes-rendus à l’un d’entre nous, Luc Javaux, qui anime cette rubrique et qui en fait la synthèse. Certains ont dégusté dans leur coin, d’autres se sont réunis pour déguster à l’aveugle. Le résultat est édifiant : l’immense majorité des amateurs qui a participé à cette expérience préfère l’ancien style Gauby (des vins qui sont aujourd’hui superbes, comme Muntada 1998 et 1999) et trouve les vins récents comme manquant de maturité avec une acidité mordante, sans grâce. Cette expérience a fait grand bruit et je pense qu’elle en fera encore. Cela marque en tout cas une date clef dans l’histoire du site « La Passion du Vin ».

 

Ce n’est pas la première fois, cependant, que le forum fait émerger des dissonances avec les revues spécialisées : il n’y a plus beaucoup de candidats pour les vins de Daumas Gassac aujourd’hui, par exemple, ou Saint-Jean-de-Bébian, si on reste dans le domaine des vins du sud. Dans un autre registre, nous avions alerté des problèmes sur le millésime 1998 chez Alquier en Faugères : je n’en ai jamais entendu parler dans la presse spécialisée qui a semblé « zapper » ce millésime, pour ce domaine qui reste néanmoins une référence incontestable du Languedoc. Nous avons aussi évoqué les problèmes de bouchon sur Haut Bergeron 2001. Et que penser des dissonances de point de vue entre les commentaires lus dans la presse spécialisée et ceux publiés sur le forum au sujet des vins du domaine de la Coulée de Serrant ? Sur un domaine d’une telle notoriété, nous recueillons régulièrement des avis très négatifs, des disparités très importantes entre les bouteilles d’un même millésime, des oxydations prématurées sur certaines. Nous avons cru lire quelques remarques dans la presse spécialisée récemment alors que LPV a alerté sur ce problème pratiquement dès sa création…

 

 

Retrouvez ou découvrez : La Passion du Vin.

 

 

 

Propos recueillis par Antonin Iommi-Amunategui

© Vindicateur, 01/2010

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