A la recherche des ayatollahs du vin : Nicolas Joly

Publié le : 13 octobre 20178 mins de lecture

 »Ayatollah », un élément de langage qui revient régulièrement dans le mondovino à l’endroit de ces vignerons qui ont la particularité de ne pas faire appel aux pratiques et produits œnologiques modernes pour concevoir leur vin. En effet, ce seul mot porte en lui une bonne partie de la crispation – et peut-être des préjugés – existant à l’égard de ces vins dits  »naturels ». Nous réalisons une série d’entretiens, sur ce thème précis, avec plusieurs vignerons réputés qui sont parfois catalogués de la sorte (et qui ont, par ailleurs, un statut associatif ou historique particulier). Aujourd’hui, Nicolas Joly, fondateur et président du groupement Renaissance des Appellations : Alors, Nicolas, en quoi êtes-vous un ayatollah ?

Nicolas Joly, Clos de la Coulée de Serrant (fondateur et président du groupement La Renaissance des Appellations)

 

 »Doit-on dire la vérité même si cela choque un certain nombre d’intérêts économiques ? »

 »Ayatollah ? Doit-on dire la vérité même si cela choque un certain nombre d’intérêts économiques ? Je m’explique. Pour commencer, qu’est-ce qu’une AOC ? Un lieu, donc un microclimat saisi par les feuilles (photosynthèse), une géologie originale prise par les racines. Donc, un lieu particulier, où une plante précise (vigne, lentille, olivier, etc.) s’exprime pleinement et arrive à une originalité de goût qui lui donne le droit d’être protégée par une appellation contrôlée… C’est – je dois plutôt dire, c’était – la garantie  pour les consommateurs du monde entier de la particularité d’un goût de lieu. Génial, non ? »

 

 »Une technologie envahissante qui comprend 350 levures aromatiques »

 »Que reste-t-il de ce concept ? Presque rien ! En tant que viticulteurs, on a le droit depuis 20 ans ou plus d’utiliser dans le cellier une technologie envahissante qui comprend 350 levures aromatiques, très souvent créées par le génie génétique (la loi donne le droit de ne pas le dire quand le gêne enlevé est de la  »même famille » que celui ajouté !) et qui donnent 350 goûts, qui vont de la framboise au poivre vert en passant par la banane et le fruit rouge… Je dis bien 350 !

Pourquoi cela s’est-il produit ? Essentiellement du fait de l’agriculture conventionnelle. C’est très simple, l’agriculture moderne a conseillé l’utilisation des désherbants qui tuent les micro-organismes du sol et, sans l’assistance de ces derniers, il est impossible pour une racine de se nourrir d’un sol (terme scientifique mycorhize). La croissance a donc dû se faire par engrais chimique (ou foliaire) qui, en tant que sels chimiques, ont accru la quantité d’eau dans la plante et qui, de ce fait, ont accru la pression des maladies. Les produits traditionnels (cuivre – bénéfique pour un sol jusqu’à 2 kg par hectare – et soufre, bénéfique à la fleur) n’ont plus été suffisamment efficaces, et alors est arrivée la terrible génération des molécules de synthèse, et des  »systémiques » qui les font passer dans la sève en une demi-heure, pour être sûr que leur efficacité dure un mois !

Résultat, la photosynthèse (faculté d’attraper la climatologie) est perturbée. Le sol et le climat sont mal saisis du fait de ces désherbants, engrais chimiques et systémiques. La récolte n’est plus marquée par le lieu comme il le faudrait, et s’il n’y a pas utilisation de technologies en cave le vin est très difficile à vendre. L’opposition au bio et a la biodynamie vient de ces vérités que l’on ne veut pas diffuser aux consommateurs. Il faut également analyser l’évolution des rendements autorisés depuis 30 ans, et vous comprendrez pourquoi la technologie est devenue une nécessité… »

 

 »Le retour à la vérité d’un goût »

 »On comprend maintenant pourquoi un terrain propice s’est finalement indirectement créé pour le retour au bio ou à la biodynamie. Son seul but est le retour à la vérité d’un goût. Je crains que le terme  »ayatollah » doive plutôt être appliqué à ceux qui cachent ces vérités et à ceux qui, par un astucieux subterfuge, ont réussi à supprimer l’obligation de mettre en contre-étiquette pour le vin, les adjuvants aux goûts, alors que c’est une obligation légale dans l’alimentaire !

Il faut savoir que la certification bio ou biodynamie n’oblige pas à faire abstraction de ces technologies. Mais si le lieu est adapté à la vigne, et la gestion correcte, cela n’est pas nécessaire. »

 

 »En biodynamie, on agit par le plan énergétique »

 »Je termine par la différence bio/biodynamie, mal comprise, et très importante. En biologique, on ne dérange pas la nature, on la laisse  »œuvrer » et on agit par le plan physique. En biodynamie, on agit par le plan énergétique ; donc les quantités de préparations spécifiques à la biodynamie ne sont que de quelques grammes par hectare (max 100 gr.). C’est trop peu pour avoir un effet par le plan physique… Mais quand on comprend que 94% de la matière qui apparait chaque année, sur chaque hectare de vigne, du printemps à l’automne (plus d’une tonne par hectare) vient de la photosynthèse, cela prend tout son sens.

Ce que l’on aime dans un vin exempt d’artifices technologiques (arômes, odeurs, harmonie, etc.) est intangible. C’est un monde subtil qui est secrètement emprisonné dans la matière végétale du printemps à l’automne. C’est sur ce processus qu’agissent les préparations en biodynamie, sur cette transformation secrète d’énergie en sarments, feuilles, fleurs et fruits.

En d’autres termes, l’immense porte ouverte par Rudolf Steiner avec la biodynamie, c’est la possibilité de comprendre, d’agir, et donc de se servir de la matrice qui donne vie à la Terre. La terre ne possède pas la vie, elle la reçoit par son appartenance à un système solaire et stellaire. Et ce lien peut être renforcé gratuitement par la connaissance de cette matrice… Tout ceci est très concret : demandez-vous comment en 1/4 de secondes vous entendez la voix d’un ami à qui vous téléphonez à 8000 km avec un portable. Une onde (gigahertz) a porté une information, votre voix en l’occurrence. Le principe n’est pas si différent. »

 

 »Trop de viticulteurs honnêtes ont été piégés par les conseils qu’ils ont reçus »

 »Il est clair que trop de viticulteurs honnêtes ont été piégés par les conseils qu’ils ont reçus, ou encore qu’ils ont acheté des vignes à un prix trop élevé. Ils sont maintenant dépendants d’un rendement qui ne permet pas de s’affranchir de la technologie. C’est de là que viennent les oppositions les plus fortes, de la part de ceux pour qui la marche arrière est difficile.

Mais ces vins technologiques qui ont tous le même type de goût sur la planète sont de plus en plus concurrencés par tous les pays à main-d’œuvre ou à foncier bon marché, qui ont désormais accès à la même technologie, et donc le marché vacille.

Pourquoi la presse n’a jamais quasiment jamais dénoncé ces excès technologiques systématiques est la grande question à laquelle chacun devra répondre… »

 

Pour en savoir plus :

  • Le vin, la vigne, la biodynamie aux Editions Ellébore ( »dont les droits servent à la biodynamie »).
  • Entretien : A la recherche des ayatollahs du vin : Thierry Puzelat

 

Propos recueillis par Antonin Iommi-Amunategui

Photo : Nicolas et Virgine Joly, by Wine Terroirs

©Vindicateur, 04/2012

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