Jean-Paul Daumen, Châteauneuf et Vieille Julienne

Publié le : 06 février 201913 mins de lecture

Le Domaine de la Vieille Julienne est dans la famille de Jean-Paul Daumen depuis 1905, lui-même y ayant pris ses fonctions – celles d’un vigneron d’abord, avec le bon sens paysan en fil conducteur – à partir de 1990. Concevant des Côtes du Rhône et des Châteauneuf du Pape réputés (certains ayant obtenu la note maximale de la part du plus célèbre des critiques) le domaine s’est engagé dans la voie de la Bio-dynamie en 2000. Humble et amical, Jean-Paul Daumen a répondu à nos questions, pour partie à distance, pour partie sur le trottoir devant les Caves Augé à Paris.

VindicateurEn tant que vigneron, quelle est votre vision ?

 

Jean-Paul Daumen : Une vision à long terme, bien sûr… où le bon sens paysan doit retrouver sa place. Nous travaillons pour les générations futures, après un arrachage il faut 10 ans de repos pour le sol, ensuite il faut 15 à 20 ans pour que la nouvelle vigne  »s’installe », pour que les racines se développent… Soit une génération. Toutes mes décisions sont prises pour l’avenir.

 

Cette vision est en opposition avec une vision plus opportuniste, où l’on prend ce qu’il y a à prendre dès qu’on peut le prendre… C’est vrai que cette vision est plus rémunératrice, mais sur le court terme. Ce qui me motive c’est d’installer nos vins sur le long terme, même si le chemin est plus long, plus compliqué et semé d’embûches.

 

 

VindicateurSincérité, pureté, naturel, profondeur… sont des mots qui reviennent souvent lorsque vos vins sont évoqués ; mais quels vins cherchez-vous à obtenir, vous, si tant est que vous cherchiez quelque chose en particulier ?

 

Jean-Paul Daumen : Des mots qui me font plaisir… parce qu’ils sont justes et qu’ils représentent bien les caractéristiques de nos terroirs et de notre travail. Partant du principe que chaque entité à ses propres caractéristiques, je me suis toujours attaché à rechercher les bonnes pratiques qui nous correspondent (que doit-on faire ? quand doit-on le faire et comment ?) plutôt que de me fixer un objectif en termes de produit fini… J’apprécie le travail, la personnalité, la philosophie d’un vigneron, d’abord, et s’ils sont en phase avec ses vins, alors je les apprécie aussi.

 

Nous avons la particularité d’être situé exclusivement en terrasse dans la partie septentrionale de l’appellation Châteauneuf du Pape. La fraîcheur, l’équilibre, la profondeur et la minéralité sont autant de caractéristiques  »naturelles » que je cherche à respecter. Il y a ensuite le contexte du millésime, qu’il faut comprendre, tous les ans… et qu’il faut aussi respecter. Ceci est capital si on recherche le bon équilibre.

 

VindicateurQuel est aujourd’hui votre regard sur la Bio-dynamie, après 10 ans d’exercice, 10 ans de recul ?

 

Jean-Paul Daumen : Lorsque jeune vigneron j’ai décidé de retrouver le  »bon sens paysan », je n’avais pas pour objectif de convertir le domaine en Bio ou en Bio-dynamie, ce que je faisais me paraissait normal. L’utilisation des composts, le travail du sol, l’abandon de la chimie n’ont pas suffi pour retrouver le bon équilibre, certaines parcelles de vieilles vignes souffraient toujours d’un déficit d’enracinement… J’ai utilisé sur ces parcelles, en 2000, les principales préparations de Bio-dynamie, et 2 ans après les résultats impressionnants obtenus m’ont conduit à étendre ces pratiques sur l’ensemble de la propriété. Pour être crédible, c’est aussi une question d’honnêteté, j’ai ensuite demandé la certification Demeter bien que je ne la revendique toujours pas aujourd’hui…

 

Avec la Bio-dynamie, j’ai fait un travail sur les sols, qui ont retrouvé la vie. Aujourd’hui nos vignes sont mieux adaptées à leurs sols et leur comportement, notamment dans les années chaudes et sèches, est meilleur. Les maturités sont plus homogènes, les déséquilibres moins importants. Les degrés d’alcool sont élevés mais les vins ont une belle fraîcheur naturelle.

 

 

VindicateurVous travaillez en Bio-dynamie, portez-vous un regard confraternel sur les vins dits  »natures » ou  »naturels » ? (élaborés en bio à la vigne, avec très peu ou pas de soufre ajouté, et le moins d’interventions possibles au chai)

 

Jean-Paul Daumen : Concernant le phénomène vin naturel… Normalement, il devrait représenter de manière juste le terroir, le climat et les bonnes pratiques locales ; à l’inverse du vin industriel standardisé qui à toujours le même goût, tous les ans… Si j’apprécie en règle générale les vins naturels, je suis quelquefois perplexe face à une certaine standardisation, comme si il y avait une mode, qu’il faut suivre absolument, comme s’il y avait des recettes, venant de certaines appellations et appliquées dans d’autres… Et quand, à l’aveugle, je ne reconnais plus les cépages, la région, quand dans le verre je sens le raisin, le bon généralement, mais que le vin est  »maquillé », standardisé, je suis déçu… Il y a là un paradoxe qui me gêne.

 

 

VindicateurVous assemblez notamment dans votre cuvée Domaine de Châteauneuf des  »cépages rarissimes comme Muscardin et Vaccarèse », quelles sont leurs particularités, leur histoire ?

 

Jean-Paul Daumen : Lorsque j’ai succédé à mon père, j’ai entrepris un recensement des différents cépages présents sur notre exploitation. C’est à cette époque que j’ai identifié quelques rarissimes Muscardin ou Vaccarèse… Ce qui me paraît intéressant c’est la diversité, la philosophie de la diversité, sur laquelle notre appellation a été construite… Mais j’ai trop peu de ces variétés pour débattre sur leurs spécificités. Ce qui m’intéresse, ce sont les vrais cépages méridionaux, le Grenache (quand il ne finit pas dans une cuvée spéciale haut de gamme mono-cépage), mais aussi le Cinsault et la Counoise… avant la Syrah et le Mourvèdre. Dans nos latitudes, un bon enracinement ne suffit pas pour résister à la rudesse de nos étés, il est primordial d’opter aussi pour des variétés adaptées.

 

 

VindicateurY aura-t-il une cuvée  »Réservé » pour les millésimes 2008 ou 2009 ?

 

Jean-Paul Daumen : La production du  »réservé » est liée à la manière dont certaines parcelles (plus exactement parties de parcelles) vont exprimer leurs particularités, leurs différences… Ce que je recherche, c’est produire un vin différent, avec une forte personnalité, avec son caractère. La qualité du millésime ne rentre donc pas en ligne de compte. Le  »réservé » n’est pas une super cuvée, mais un vin à part, que la nature nous offre de temps en temps… et que je me contente d’accompagner, de respecter. Mon intervention se limite à sentir si les vignes ont le potentiel et à prendre une décision. En 2008 je n’ai pas produit de  »réservé », en 2009 j’ai vinifié séparément le  »réservé »… donc je devrai le produire, mais il faut laisser le temps au temps.

 

 

VindicateurQu’est-ce que c’est que ce Côtes du Rhône  »La Bosse » qui, pour le 2005 notamment, fleurtait avec les 17° mais tenait un équilibre en bouche à en croire les dégustateurs ?

 

Jean-Paul Daumen : C’est 90% de vieux Grenache, avec un peu de Cinsault et de Syrah… Degré d’alcool élevé et fraîcheur, c’est ce genre d’équilibre que l’on obtient sur nos parcelles. 2005 était aussi pour moi un millésime exceptionnel… Mais la cuvée  »la bosse » c’est surtout un clin d’œil à ces vieilles vignes, déjà plantées en 1905, lorsque le domaine est entré dans la famille, et qui ont servies à produire toutes les sélections massales avec lesquelles notre vignoble de Châteauneuf du Pape à été planté.

 

 

VindicateurQuel est à ce jour le plus grand vin né au Domaine de la Vieille Julienne, selon vous ?

 

Jean-Paul Daumen : Tous les vins produits en 2005, sans hiérarchie… Mais j’ai beaucoup de mal à juger mes vins et évidement, même si je suis honnête, je ne suis pas objectif.

 

Pour aller plus loin, et rebondir sur votre article  »La Mort de Robert Parker », notamment concernant notre appellation, je dirais que j’ai tout fait pour limiter l’influence des notes de M. Parker… Car même si elles flattent mon égo, le plaisir du consommateur amateur anonyme me flatte tout autant : tout est une question d’équilibre. Je ne sors pas beaucoup, je ne participe que très rarement à des salons, donc quand Robert Parker frappe à la porte, comme tout autre journaliste, ou amateur d’ailleurs, évidemment je suis content. Je suis content aussi quand les critiques sont élogieuses. Mais quand c’est trop, quand les notes sont trop hautes, je suis obligé de fermer la porte, c’est un peu ce qui s’est passé et je traîne encore, à cause de ça, la réputation d’une personne inaccessible, qui a pris la grosse tête… Et ça c’est moins bien. Il faut trouver le bon équilibre, mais ce n’est pas simple. La communication est un métier, mais ce n’est pas le mien. J’ai eu l’occasion de recevoir Robert Parker, sans tapis rouge (c’est pas le genre de la maison). Nous avons échangé sur les vins, en toute franchise, en toute honnêteté, en toute simplicité, et je n’ai pas reconnu le Robert Parker tel qu’il est souvent décrit,  »le gourou », j’ai rencontré un homme sympathique, sérieux, à l’écoute, et intéressé. Cependant, M. Parker a ses goûts… et bien sûr les goûts, ça se discute, on peut ne pas être d’accord.

Ce qui me gêne, c’est l’opportunisme de certains producteurs qui cherchent à séduire, à avoir de bonnes notes… Toutes les cuvées spéciales nées uniquement pour cette raison : les vins sont  »explosifs » lors des dégustations et quelque temps après, sur les tables, c’est d’autres bouteilles qu’on vide en premier. Il y a des vins à boire, qu’on boit… Y a-t-il maintenant des vins qu’on déguste, ou qu’on collectionne ?

 

L’après Robert Parker est vraiment difficile à prévoir. Il y aura un gouffre, c’est certain. Comment sera-t-il comblé, par les producteurs ou journalistes opportunistes ? Et si ça va mal on dira certainement que c’est la faute de Robert Parker ?

 

Non je suis plus optimiste, nous avons en France comme ailleurs des journalistes honorables, qui se déplacent dans les vignobles, qui s’intéressent au travail dans les vignes… Et puis il y a les blogueurs, Aurélia Filion et son busurleweb, on se régale… Et aussi le Vindicateur avec cette notion de moyenne, donc de justesse…

 

 

VindicateurVous êtes le père de deux enfants, une fille de 20 ans et un garçon de 17 ans, pensez-vous que l’un d’eux vous succèdera au domaine un jour ?

 

Jean-Paul Daumen : C’est une question terrible… Elle touche l’essentiel, la transmission, le long terme. Si j’ai étudié la gestion, la philosophie, la musique… le travail de la terre ce sont mes aïeux qui me l’ont transmis, c’est un héritage. Mes enfants en ont conscience, j’ai toujours essayé d’être clair et honnête avec eux sur cette question.

 

Lily s’est orientée vers une carrière artistique, l’image, la photo, le dessin, mais elle a passé presque un an sur le domaine où elle a touché un peu a tout et en septembre elle reprendra ses études et puis…

Antoine sera lui en terminale scientifique à la rentrée, il aime les maths, la biologie… Lorsqu’il avait 15 ans, il m’a dit :  »Tu sais, je sens sur mes épaules le poids de la propriété, ça me fait un peu peur… Je veux continuer l’école, voyager… » Ça m’a ému, il a compris l’essentiel…

 

Qu’ils se construisent, qu’ils pensent à eux… En ce qui concerne la terre, ils le savent déjà, ils sont nés paysans.

 

 

Propos recueillis par Antonin Iommi-Amunategui

© Vindicateur, 06/2010

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