Cristallisation sensible, délire ou découverte inexploitée ?

Publié le : 20 novembre 20198 mins de lecture

Un ouvrage sur la méthode biodynamique dite de cristallisation sensible vient de paraître : ce procédé permettrait de révéler objectivement, via des images, les qualités et les défauts des vins observés.  »Une autre manière de voir la qualité », selon l’auteur. Ouvre-t-il ainsi un formidable champ d’études sur les qualités objectives du vin, ou s’adonne-t-il seulement à des interprétations excessives et parascientifiques ?

Définitions

 

Cet ouvrage, Cristallisations Sensibles – Une autre manière de voir la qualité, traite d’une méthode d’étude biodynamique consistant à visualiser chimiquement la bonne ou mauvaise qualité d’une matière. Le procédé fait appel au chlorure de cuivre pour aboutir à des images qui permettent de distinguer clairement les vins entre eux, selon par exemple qu’ils sont issus d’une agriculture biodynamique, biologique ou conventionnelle, voire intensive. Ces derniers étant ceux qui présentent les cristallisations sensibles les plus faibles ou perturbées, tandis que les vins bio donnent des images qui paraissent plus riches et ordonnées. Ces images, traduites et interprétées par l’expérimentateur, sont censées lui fournir des indications précises sur la qualité de la matière observée, en l’occurrence le vin… C’est la thèse soutenue par l’auteur, Christian Marcel, tout au long des 118 pages de son ouvrage, étayées de quelque 75 photographies de cristallisations sensibles réalisées sur autant de sujets d’études différents : du vin rouge avant filtration à un poulet cuit au micro-ondes, en passant par un champagne en culture biodynamique. Notre illustration ci-dessus correspondant à la cristallisation d’une  »Syrah bien adaptée au terroir ».

Christian Marcel commence son ouvrage en donnant sa définition de la cristallisation sensible :  »Le phénomène de cristallisation sensible ou cristallisation du chlorure de cuivre, révèle par son caractère d’images que la qualité d’un terroir, d’un vin ou d’un aliment, ne se réduit pas à un catalogue de données quantitatives normalisées.

 

 »La matière s’incorpore aussi des forces qui lui donnent un pouvoir de mise en forme. La présence de ces forces s’exprime curieusement par la capacité des substances à organiser la cristallisation du sel de cuivre.

 

 »En faisant le constat que dans un environnement défavorable, cette capacité est considérablement affaiblie ou modifiée, les praticiens de la méthode ont élargi la notion de qualité et ouvert la voie vers une nouvelle approche du vivant. »

 

 

L’interprétation des images

 

Les images obtenues par ce procédé varient considérablement, et l’auteur tente d’expliquer le cheminement qui doit mener à leur interprétation :  »Les caractéristiques et les variations du réseau cristallin n’ont pas de valeur absolue, elles doivent toujours être corrélées à la nature de la substance testée. Un même schéma cristallin a une signification différente, selon qu’il apparaît dans le cristallogramme d’une carotte ou celui d’un vin rouge. Au-delà de l’approche conceptuelle, le praticien se réfère à la banque de données qu’il a constituée et à sa compétence ; la fiabilité de son interprétation va dépendre de l’étendue de son expérience. »

 

Les vacuoles, sortes de petits cratères ou collines visibles à la surface des cristallisations sensibles, sont une importante source d’informations, notamment pour le vin, selon M. Marcel :  »La position, le nombre et la forme des vacuoles centrales est extrêmement variable. L’aspect des vacuoles fournit des informations étonnantes sur les qualités olfactives et aromatiques de la plupart des produits alimentaires.

 

 »L’étude de ces formes permet de définir avec une prodigieuse précision l’arôme dominant d’un vin, sans passer par la subjectivité de la dégustation ou par une analyse chimique ou biochimique onéreuse. À titre d’exemple, les vacuoles dites rondes et symétriques caractérisent pour un vin rouge un arôme de fruits de type cerise. Un vin encore fermé présentera un centre en point au lieu de vacuoles. »

 

Mais, pour être pleinement réussie, l’interprétation expérimentale doit se doubler d’un d’exercice spirituel tiré des enseignements de Rudolph Steiner, le fondateur de la biodynamie :  »La démarche consiste à séparer volontairement ce qui de ces formes cristallines est purement perçu par les sens (percepts), de ce que la raison pourrait y associer en tant que concepts. Puis dans un troisième temps, en rassemblant par un exercice de la pensée percepts et concepts, en faisant vivre en soi la réunion de ces éléments, la signification des formes se dévoile à la conscience. La vérification empirique, en finalité, n’est qu’un accessoire destiné à corroborer l’interprétation. »

 

 

Conclusion de l’auteur

 

Selon l’auteur, ce travail est bien d’ordre scientifique :  »Les illustrations publiées ici révèlent que de nombreux facteurs peuvent modifier la qualité d’un vin, d’un aliment ou d’une plante. Ces modifications se perçoivent grâce à la cristallisation sensible ; elles concernent une modification de la structure spatiale des molécules et constituent de ce fait une réalité scientifique. »

 

Christian Marcel propose enfin aux plus sceptiques de ne croire que ce qu’ils voient, et de convenir avec lui que la cristallisation sensible révèle bien, indéniablement, quelque chose :  »On peut faire abstraction, même rejeter les fondements spirituels présentés par Rudolf Steiner et simplement se contenter d’observer les processus qui conduisent à l’édification de ces cristaux, à leur séparation ou leur modification. L’idée de qualités vivantes ne peut alors que voir le jour, éclairer nos consciences et ouvrir la voie vers une nouvelle Science du Vivant. »

 

 

L’avis d’un scientifique conventionnel

 

Afin de susciter le débat, nous avons fait appel à M. P.-G. David, docteur en physique et directeur d’une agence de communication scientifique, afin qu’il nous livre son avis de scientifique conventionnel sur l’ouvrage et les techniques dont il est ici question :

 

 »Les acteurs de la cristallisation sensible ont une rigueur indéniable. La technique est claire et les résultats expérimentaux nombreux et répétés. Il y a cependant un problème de fond : si leur instrument est très précis, ils ne savent pas ce qu’ils mesurent. La raison pour laquelle les cristaux forment tel ou tel motif n’est pas documentée. Ces biodynamistes décident alors d’attribuer aux motifs une valeur de qualité du produit, mais c’est là précisément qu’ils décrochent avec la démarche scientifique : on ne décide pas du sens de résultats expérimentaux.

 

 »Je peux moi-même décider à tout moment que le nombre de voitures bleues (qui varie selon de nombreux facteurs) croisées dans la rue détermine ma chance ce jour-là, mais ni la notion absolue de chance, ni le lien entre mesure et résultat ne fait sens dans ce cas, scientifiquement parlant. Le lien de causalité – de cause à effet – qui doit être mis au jour dans toute expérience si elle veut obtenir un crédit scientifique est rompu dans la cristallisation sensible. Rien n’empêche, en revanche, de croire qu’elle est une mesure directe de la qualité. »

 

 

Antonin Iommi-Amunategui

© Vindicateur, 11/2009

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