Alice au pays des magnums

Publié le : 14 août 20205 mins de lecture

C’est l’histoire du mec qui s’en fout (du vin). 99% du monde entier s’en fout, du vin. En France, idem. On n’en a rien à cirer des 357 ou 413 appellations de la patrie, de ce grand chaos d’AOC. On s’en tamponne, on a la page blanche du cépage, la feuille de vigne en guise de cache-sexe à la rigueur. Quand on gloute, c’est drink and forget. Et quitte à boire du vin, on va au super/hyper le plus proche. Ou dans une chaîne de pseudo-cavistes, du genre Prénom-de-Sarkozy. Et on attrape à peu près n’importe quoi. Et on trouve ça à peu près bon… Et celui qui leur jettera la pierre est un vrai trou du cru ! Faire évoluer les choses ? Tu rêves, Utopithon ? Vas-y, Alice, dézingue-les.

Comment lui faire changer de point de vue au mec qui s’en fout, du vin ?

 

La pédagogie verticale, plongée/contre-plongée, celle qui fait se sentir tout petit. Les grands mots du vin, dire caudalie pour dire seconde (quand il existe peut-être des mots mieux torchés). Le champ lexical souvent redoutable et soporifique du vin (quand il en existe forcément de plus délirants). Les accords mets-vin élaborés-raffinés (quand il y en a sûrement à la con). Tous ces épouvantails de la dégustation qui font fuir ou n’attirent qu’une population choisie… Direction la poubelle, déjà de l’histoire ancienne. Deutz to Deutz. Pardon, dust to dust.

 

 

50% goût, 50% gueule

 

Le liquide, la bouteille ne suffit pas. Il faut traverser le verre, comme d’autres ont traversé le miroir. On y est, Alice au pays des magnums. Parce que le vin, en soi, pour soi, est d’un ennui vaguement humide… Il n’a de sens qu’en tant qu’intermédiaire, c’est un vecteur, un liquide très conducteur. En l’occurrence, pour s’intéresser au vin, il faut le transpercer et se projeter vers celui ou celle qui l’a conçu. C’est souvent par l’humain qu’on en vient, vraiment, au vin.

 

Sur Internet, les vigneron/nes qui interpellent le plus en ce moment sont sûrement Lilian Bauchet, Mathias Marquet, Ryan O’Connell, Isabelle Perraud, Iris Rutz-Rudel, Mélanie et Benoît Tarlant, Olivier Techer… La liste est plus longue, heureusement. Et elle ne se borne pas à Internet, évidemment. Mais c’est bien là le trick : le vin c’est 50% goût, 50% gueule. La gueule du gars qui l’a fait, la gueule d’un lieu aussi. Parce que c’est dans ces gueules-là qu’on lit les expressions plus subtiles du vin, et ses quatre vérités ? Celles, en tout cas, que la seule dégustation n’épuise jamais. On apprend peu de choses, en se contentant de goûter. Pas assez. Mais comment claquer la bise à ces gueules lointaines, à travers la bouteille ?

 

 

On ne dit pas  »je vais au caviste », on dit  »je ne vais pas chez Nicolas »

 

C’est ici que le caviste indépendant intervient. Il choisit méticuleusement ses vins, rencontre les vignerons, les story-tell un minimum. C’est une courroie de transmission, un maillon irremplaçable de la chaîne (mais pas de la chaîne de caviste, attention). Parce que si le bon vin est à portée de bouteille, la gueule de l’autre côté du verre, la trogne du vigneron, le minois de la vigneronne, restent souvent hors de portée. Sauf à faire causer les cavistes (qui ne se feront pas prier, généralement ils adorent ça) ou à suivre en direct, sur Internet, les vignerons (mais ils ne sont qu’une minorité à pratiquer régulièrement). Alors va donc chez le caviste, Alice ! C’est par ici.

 

 

Alice in Nakedland

 

Une autre Alice, bien réelle celle-ci, a été à la rencontre des vignerons et en a fait un livre. Un bouquin d’écrivain, un récit souvent croustillant, qui saura accrocher au-delà de la seule microbande des amateurs.  »Le Vin nu » d’Alice Feiring ( »Naked Wine » en V.O.) intéressera en effet tous ceux qui aiment le vin, et même quiconque a une goutte de curiosité à son égard. Certainement, il confortera et distraira celles et ceux qui aiment le vin naturel ; pour autant, les autres, qui ne l’aiment guère ou ne le comprennent pas, y trouveront des éléments de réflexion pertinents. Le livre est sincère, fouillé, précis, blindé d’anecdotes (remontant parfois aussi loin que 1350 ou, plus près de nous, autour de bonshommes incontournables tels que Marcel Lapierre, Pierre Overnoy ou Nicolas Joly) et il mérite toute l’attention des amateurs et des professionnels du vin, à tout le moins.

 

 »Le Vin nu » par Alice Feiring, Jean-Paul Rocher Editeur, 220 pp., 19€. Le blog d’Alice Feiring : The Feiring Line.

 

 

Antonin Iommi-Amunategui

Photo : Alice Madness Returns

©Vindicateur, 01/2012

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