C’est la Luyt finale !

Publié le : 13 octobre 20177 mins de lecture

Louis-Antoine Luyt est vigneron. Français installé au Chili, à Cauquenes, depuis 2006. Affranchi du vin, avec Marcel Lapierre en guise de  »parrain », et spécialiste de la vigne à 8.8 sur l’échelle de Richter, depuis le terremoto meurtrier qui a frappé le Chili il y a deux ans presque jour pour jour. Le séisme a dévasté son domaine : 50000 litres de vin perdus, d’importants dégâts matériels, lui-même piégé sous les décombres… Mais, solidarité internationale aidant, le Clos Ouvert (c’est le nom de son domaine) a rouvert ses portes. Et les vins naturels du domaine  »le plus radical du Chili » ne tremblent pas dans le verre.

L’internationale du vin ?

Louis-Antoine Luyt a 36 ans. Français originaire de Saint-Malo, corsaire issu d’une famille bourguignonne, il rencontre Mathieu Lapierre en 2002 à Beaune, avant d’aller apprendre le vin naturel en Beaujolais auprès du patriarche, Marcel Lapierre, puis d’aller faire le sien un océan plus loin, au Chili. Voilà qui a presque un petit goût de civilisation relative, tout à fait à rebours d’un Claude Guéant (lire à ce sujet le billet d’un autre fou furieux du vin, Sébastien Lapaque).

Il y a que tous ces vins-là n’ont pas de nationalité, en réalité, pas de frontières ; ils sont une internationale, la somme dynamique d’un paquet d’apports, greffons ou vignerons. De la Géorgie au Chili, en passant par le Beaujolais ! D’ailleurs, ces gens-là sont les gitans du vin : ils n’ont pas de cadre, pas de reconnaissance officielle. On ne leur en attribue pas. Ces gens-là, ce sont les faiseurs de vin naturel. Des marginaux, qui ont leur supporters bien sûr, nombreux (parce que c’est souvent plus excitant de lire ce qui est écrit en rouge dans les marges, plutôt qu’en bleu au milieu) et leurs détracteurs, plus nombreux encore, qui les perçoivent comme une menace, encore vague mais déjà agaçante ; une mise en question de leurs certitudes vitrifiées… On digresse de trop ? On force un rien le trait ? C’est aussi le jeu de ce Pinard 2012 ! Mais retour à Cauquenes, Valle de Maule, Chili.

 

Séisme sans soufre

Le Clos Ouvert de Louis-Antoine Luyt a été décrit comme le domaine le plus radical du Chili. Un slogan excessif ? Lorsqu’en 2010 la terre chilienne tremble et tue 521 personnes, Dorothée sa femme sauve leur fils de 6 mois, cependant qu’un mur de la chambre s’abat sur Louis-Antoine. Il reste ainsi pris au piège des décombres quinze longues minutes. Et c’est précisément durant ce sale quart d’heure sud-américain, qu’il prend la décision de ne plus ajouter de sulfites dans ses vins.

Une décision extrême dans un moment extrême ? Plutôt un choix, sûrement brusque, mais qui s’inscrit dans une logique durable, inspirée par ses rencontres, ses réflexions, lui qui a goûté des vins tous les mêmes d’un bout à l’autre du Chili, lui qui a côtoyé Marie, Mathieu et Marcel Lapierre… Appelez-le radical, appelez-le cohérent, la verdad est dans la bouteille. D’ailleurs, si la décision est prise, son application est progressive : pour Louis-Antoine, c’est un objectif qualitatif, pas un slogan. Zéro intrant pour révéler la terre… Il vise la lune ? Tant mieux.

 

Aucune catastrophe naturelle

Louis-Antoine Luyt a des cuvées à base de cinsault, de carignan ou encore de pinot noir, mais on s’intéressera ici à celles issues de cépages plus typiques. D’abord, El País de Quenehua 2010 (macération carbonique, élevage en cuves, 25mg de soufre). Menthol, coquelicot, curry ou plutôt Ras el hanout (mélange d’épices du Maghreb) : le nez vous embarque direct, direction ailleurs ! La bouche est fraiche, entre croquant et soyeux ; elle s’étire comme un matou au pelage réglissé… Le cépage  »País » a d’ailleurs été introduit au Chili par les Jésuites, au début du 16ème siècle. D’où que certains ceps soient plusieurs fois centenaires. En VF, on se situe peut-être quelque part entre le gamay et le carignan ? Peu importe, c’est un vin remarquable, digeste et délicieux.

Encore quelques mots du vigneron à son sujet, pour enfoncer le joli clou :  »Ce sont de vieux pieds de vignes dont la date de plantation remonte à l’époque où louis XIV était encore roi de France… Le sol est constitué d’argile rouge et de granit en décomposition plein de petites pierres de quartz. Les vignes se situent à 30 km de la côte, le secteur est doté de températures plus clémentes que le reste de la région, en moyenne 6/7º de différence. Cette cuvée est parrainée par Marcel Lapierre qui est tombé sur une maîtresse vigne ! Du coup, Mathieu Lapierre la distribue et en parle… »

Autre cuvée, la Carmenere 2009 (cépage emblématique du Chili, moderne par opposition au país ; vignes de 18 ans, macération carbonique puis élevage en fûts ; le 2010  »a été repassé sur lies fraiches après le tremblement de terre pour atténuer la volatile »). Nez complexe de fleurs sauvages, de cacao amer et de viande poivrée, juteuse. En bouche, on a sans aucun doute affaire à un grand vin soyeux, riche sans lourdeur, doté d’un équilibre majeur. Un vin-Casanova, avec du fond et de la séduction. A l’aération, la tapenade d’olives noires et la fleur d’hibiscus se joignent à sa galerie d’arômes… Pour l’anecdote, le cépage carmenère était très cultivé dans le Médoc avant le phylloxéra ; et il revient doucement dans le paysage bordelais. Bonne nouvelle vue la qualité des vins qu’il est susceptible d’offrir. Celui-ci, le chilien version Luyt, est juste excellent… Rien d’une catastrophe naturelle.

 

Dans le cadre des Vendredis du Vin n°43, Election du Pinard Présidentiel, ces vins remportent respectivement 92% et 94% de mes suffrages ! Viva los Presidentes !

 

  • Points de vente (France), infos pratiques, visuels : blog du Clos Ouvert ; Le vin perdu
  • A lire également : Il faut sauver Clos Ouvert ; Chili con acharné
  • A retrouver aussi : quelques vins-ministre,  »Grands Crus de Table », dans le dernier numéro de Grand Seigneur (version papier)

 

Antonin Iommi-Amunategui

Photo : Louis-Antoine à La Dive, photo by Olif.

©Vindicateur, 02/2012

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